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Bulletin d'information n°87. Juillet 2016

Le préjudice d'impréparation psychologique

Par un arrêt du 3 juin 2010, la Cour de cassation française marqua un revirement jurisprudentiel. Ce revirement a bouleversé le champ d'application de la sanction du non-respect du consentement du malade, en consacrant un véritable préjudice autonome en la matière. Elle abandonnait sa conception limitée de la responsabilité médicale dans le cas de défaut ou d'insuffisance d'information, conception ne reconnaissant que la perte de chance comme préjudice indemnisable. Elle optait par cette décision pour une conception élargie, affirmant que « la violation d'une obligation d'information cause à celui auquel elle était légalement due, un préjudice que le juge ne peut laisser sans réparation ». Dès lors, en cas de non-respect de l'obligation d'information, le malade pouvait obtenir réparation, même en l'absence de perte de chance. La perte de chance n'était plus le seul préjudice réparable en cas de défaut d'information.

En 2012, la Cour d'appel d'Amiens suivit la Cour de cassation dans son raisonnement, affirmant que « la Cour de cassation retient que toute personne a le droit d'être informée préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas en état de consentir, et que le non-respect du devoir d'information qui en découle cause à celui auquel l'information était légalement due un préjudice qu'en vertu de l'article 1382 du Code civil, le juge ne peut laisser réparation ».

Les juges du fond affirment encore « qu'en cas de constatation d'un défaut d'information, le patient est fondé à solliciter une réparation spécifique et distincte de l'indemnisation de son préjudice corporel résultant dudit manquement ». Dans l'esprit de la juridiction, le défaut d'information se présente lui-même comme un préjudice autonome et spécifique, donnant droit à réparation. Le constat est simple, puisque la loi consacre un droit subjectif à être informé et à voir son consentement respecté ; le seul irrespect de ce droit, même en l'absence de perte de chance, fait naître un préjudice moral d'impréparation psychologique.

Il importe de noter que le préjudice d'impréparation fut initialement proposé par J. Penneau, qui le définit comme « le dommage dont peut se plaindre tout patient qui n'a pas été en mesure de se préparer psychologiquement au risque qui lui avait été caché ». Ce préjudice peut être aussi défini comme « un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l'idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle ».

Il se fonde sur l'idée que l'individu supporte mieux moralement la survenance d'un dommage lorsqu'il il a été psychologiquement préparé à l'éventualité de cette survenance.

Il importe néanmoins de s'interroger sur l'articulation entre deux préjudices distincts : perte de chance et préjudice d'impréparation. Sont-ils cumulatifs ou bien l'existence de l'un d'entre eux exclut-elle obligatoirement l'autre ?

La Cour de cassation française précisa cette articulation des deux préjudices dans un arrêt de 2014. Les magistrats de la Haute juridiction concluaient alors qu'ils ne sont pas contradictoires et que leur coexistence devait permettre de réparer l'entier dommage causé au malade, et résultant du manquement du médecin à son obligation d'information. La perte de chance n'a pas un caractère automatique et ne sera retenue s'il est démontré que le malade aurait, dans tous les cas, consenti à l'acte. Elle apparaît lorsqu'un dommage corporel dû à l'acte pratiqué survient. Le préjudice d'impréparation, quant à lui, n'est pas lié à l'existence d'un dommage corporel, du fait de son automaticité. Dès lors, « si les deux préjudices se situent antérieurement à l'acte contracté, l'assiette de la perte de chance consiste est le dommage résultant de la réalisation du risque dû à l'acte pratiqué, tandis que l'assiette du préjudice d'impréparation se situe antérieurement à l'acte pratiqué, sur l'impossibilité de se préparer aux conséquences malencontreuses immanentes audit acte qui en est hypothétiquement porteur. Le préjudice moral du patient victime est ainsi réparé ».

Aujourd'hui, la jurisprudence initiée en juin 2010 et précisée depuis lors, se trouve confirmée. Ainsi, dans son arrêt rendu en avril 2016, la Cour de cassation confirme que la réparation du défaut d'information ne se cantonne pas à la seule perte de chance. Le manquement du praticien à son obligation d'information peut occasionner un préjudice d'impréparation qui finit par se réaliser.

Il semble que ce mode de réparation soit également adopté en Tunisie, notamment par le tribunal de première instance de Tunis, dans un arrêt rendu le 27 octobre 2011. Dans cette affaire, le tribunal a réparé le préjudice de la patiente, né du manquement du médecin à son obligation d'information des risques du traitement, indépendamment du préjudice corporel et de la perte de chance subis.

Nous ne pouvons qu'applaudir à cette jurisprudence favorable aux victimes de dommages dus à l'insuffisante information des malades et espérer qu'elle soit consacrée par notre Cour de cassation.

Haifa KHAMMARI, Docteur en droit. Assistante à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et de Gestion de Jendouba.

Bibliographie

(1)Cass.civ. 1re, 3 juin 2010 : F.VIALLA, M. REYNIER, Où en est la réparation du défaut d'information, R.D.S. n°38, novembre 2010, p.505.
(2)Cass. 1reciv. 6 avril 2016 : n° 15-17351, Revue droit et santé, n° 72, juillet 2016, p. 500, obs. F.VIALLA
(3)Cass.civ. 1re ,23 janvier 2014 : N. BRUNET, p.1233
(4)Trib. 1re instance de Tunis, n°10707 du 27 octobre 2011, inédit.
(5)F.VIALLA, Evolution de la responsabilité pour défaut d'information, R.D.S. n°35, 2010, p.233.
(6)F.VIALLA, Divergence sur le préjudice lié au défaut d'information ? Revue droit et santé, n° 72, juillet 2016, p. 500.
(7)J. PENNEAU, note sous C. d'appel d'Angers du 11 septembre 1998, D.1999, Jur.p.50.
(8)M. BENEJAT, L'autonomie de la responsabilité médicale pour défaut d'information (à propos de quelques arrêts rendus en 2010) , R.G.D.M. n°38, mars 2011, p.195.
(9)N. BRUNET, Le défaut d'information sanctionné par la réparation d'impréparation du patient aux risques encourus, RDS n°59, mai 214, p.1223
(10)O. GRARE, Préjudice autonome en cas de méconnaissance par le médecin de son devoir d'information : début d'une saga juridique, p.345 ; de la Cour d'appel de Toulouse du 18 juin 2012
(11)S. PRIRUR, Nouvelles précisions sur le droit à l'information médicale et sa sanction, R.G.D.M. n°36 , septembre 2010, p.233


 
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