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Bulletin d'information n°83. Mars 2016

« Le droit de mourir »

« Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». Cette promesse, tirée du serment du Conseil National de l'Ordre des médecins français est une version évoluée du serment originel d'Hippocrate. Ce dernier énonçait : « Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice ».

Parfois, l'avantage pour un patient peut être tout simplement la mort. Certes, ce constat peut sembler cynique, mais laisser mourir dignement une personne gravement atteinte et sans réelle chance de survivre est en fait plus humain que de prolonger ses jours par de vains traitements.

L'article 23 de la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 s'inspire des conventions internationales existantes en matière de droits de l'Homme. Elle exige, à maintes reprises, le respect de la dignité humaine. Donc, s'acharner à prolonger les jours d'une personne en fin de vie et condamnée serait, à notre sens, contraire à cette Constitution, aux droits de l'Homme et au serment précité des médecins, le prolongement abusif des agonies ou, pour utiliser un terme plus technique « l'acharnement thérapeutique ».

Il nous semble pourtant important de préciser qu'il n'est nullement dans notre intention de présenter ici un argumentaire en faveur de l'euthanasie. Nous souhaiterions simplement contribuer à la réflexion éthique concernant les personnes cliniquement mortes mais maintenues en vie artificiellement, arguer en faveur de leur droit de mourir dans la dignité. La législation concernant ce sujet est inexistante en Tunisie et les questionnements pauvres.

1) Le maintien en vie : le rôle prioritaire du médecin

La législation tunisienne relative à la bioéthique n'est pas très développée et ceci a toujours causé des problèmes au niveau de la pratique médicale. L'article 2 du code de déontologie médicale énonce laconiquement que « le respect de la vie et de la personne humaine constitue en toute circonstance le devoir primordial du médecin. » De ce fait, le médecin est dans l'obligation légale d'user de son art pour maintenir la vie de son patient. Mais on pourrait se poser la question de savoir quel doit être son rôle, lorsqu'il est devant un patient qui n'a aucune chance de survie, un patient cliniquement mort.

La mort (cliniquement parlant) a été « définie » par une (1) du ministre de la Santé en application de la loi relative au prélèvement et à la greffe d'organes humains et notamment son article 15(2) . Synthétiquement, une personne est déclarée cliniquement morte lorsque les médecins constatent « l'arrêt irréversible des fonctions vitales spontanées, c'est-à-dire l'arrêt des fonctions respiratoires, cardiaques et cérébrales ». C'est une personne qui a un tracé électro-encéphalographique linéaire ou plat (arrêt de la fonction cérébrale), même si elle estmise sous respirateur artificiel et alimentée artificiellement. On parle là du maintien artificiel de la vie.(3)

En application de la loi de 1991 relative au prélèvement et à la greffe d'organes humains, la circulaire précitée admet la possibilité de conserver les organes de la personne morte dans un état permettant leur prélèvement en vue d'une transplantation. Le médecin ayant constaté l'arrêt des fonctions vitales du malade, peut décider soit d'un maintien artificiel de la personne, soit de la suspension de la réanimation. Le problème se pose dès lors, par cette possibilité octroyée au médecin, de le rendre seul maître de la situation et seul juge du maintien artificiel de la vie ou pas. On est en droit de craindre un détournement de la situation vers un « acharnement thérapeutique ».

La même (4) , insiste dans son article 2, sur l'arrêt de la fonction cérébrale et précise que « la mort ne peut être déclarée qu'après avoir utilisé tous les moyens thérapeutiques appropriés disponibles ». Ce qui ouvre le champ à des abus dans le maintien artificiel de la vie. En effet, le médecin par excès de zèle ou par un surcroît d'humanité, pourrait opter pour le maintien de la personne sous machines en vue d'une éventuelle amélioration même si cette possibilité est scientifiquement quasi-(5) .

Notre législation est donc laconique et d'un maigre secours pour des médecins en proie au doute et ce, contrairement à d'autres pays(6) .

2) Solutions proposées :

L'équilibre entre le fait de maintenir la vie humaine, ne pas tomber dans l'euthanasie punie par la (7) et le fait de respecter la dignité humaine en évitant l'acharnement thérapeutique et la prolongation abusive de l'agonie est sans nul doute un problème des plus complexes, surtout en l'absence d'une législation claire et (8) . Néanmoins, des solutions à ce niveau peuvent être apportées dans l'état actuel des choses en partant de l'existant : le code de déontologie médicale et la Charte du patient édictée par le ministère de la santé (9).

Commençons par le code de déontologie médicale. Ce dernier, dans son article 36, énonce qu'en cas de pronostic grave ou fatal, le médecin peut le révéler à la proche famille, ou dans le cas d'une demande préalable du patient lui-même, à des tiers désignés. De cet article ressort que le patient a la possibilité d'émettre des demandes préalables qui touchent à son état de santé. Pourquoi alors, ne pas accepter qu'un patient, dans sa pleine conscience, émette une demande préalable concernant l'interruption de tout maintien de sa vie de quelconque moyen artificiel ?

Et en cas d'absence d'une telle demande ou dans l'incapacité d'en formuler, la décision reviendrait à sa proche famille ou à un tiers préalablement désigné (appelé « personne de confiance » dans nombre de pays). L'on pourrait éviter que le médecin soit seul maître de la décision et on diminuerait les risques d'un acharnement thérapeutique.

Cette solution a été adoptée en droit français, notamment dans la loi Léonetti.

En complément, la Charte du patient en vigueur en Tunisie, permet au patient de refuser les soins car il est seul maître de sa vie ; et la loi ne punit guère le suicide, elle ne punit que l'assistance au suicide (10). Donc, du moment où le patient peut refuser les soins, rien n'empêche d'accepter que ce dernier émette une demande préalable concernant son maintien artificiel en vie.

Le médecin pourrait dès lors, pour s'exonérer d'une éventuelle responsabilité pénale, exiger que la demande préalable du patient soit écrite et signée par ce dernier ainsi que par deux témoins ; et dans le cas où le choix reviendrait à la famille, exiger un écrit signé (1). Dans le cas contraire, où le médecin s'obstine à l'encontre de l'avis du patient ou de sa famille, le juge serait compétent pour juger de ce différend et on pourrait proposer que ça soit le juge administratif comme l'est le cas en Droit Français.

Conclusion :

En l'absence de loi, il y a souvent désordre et questionnements, d'où risques de déviations. De ce fait, il serait plus que judicieux d'apporter une solution juridique complète au problème du patient en fin de vie en Tunisie et ce à travers une loi générale, à l'instar des « Lois bioéthique » en France ou à travers une loi spécifique. Nous continuons aussi d'attendre désespérément la refonte du code déontologie médicale ou l'élaboration d'un code de la santé publique, à la hauteur de l'ambitieux et symbolique article 38 de la Constitution.

Malek BEN JAAFAR, Doctorant à la Faculté de droit et des Sciences Politiques de Tunis Assistant contractuel à l'Institut Supérieur d'Informatique et de Mathématiques de Monastir

(1) Circulaire du ministre de la santé du 16 Octobre 1998.
(2) Loi n°91-22 du 25 Mars 1991.
(3) http://www.gnet.tn/revue-de-presse-nationale/leuthanasie-le-debat-encore-et-toujours-/id-menu-958.html
(4) Circulaire du ministre de la santé du 16 Octobre 1998 précitée.
(5) Terry Wallis, un américain ayant eu un accident, est resté dans le coma, dans ce qu'on appelle « un état de conscience minimale », 20 ans après quoi il est revenu à lui. Mais cette régénération du cerveau reste selon les experts très rare. Voir « Sorti de 20 ans de coma », Cerveau & Psycho, n°17, Septembre-Octobre 2006
(6) Exemple en France : la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti et son amendement en vue de renforcer l'autorité des « directives anticipées » du patient, adopté le 17 Mars 2015. Mais aussi : La Belgique par La loi du 28 mai 2002 ; Le Luxembourg par la loi du 17 mars 2009 ; Le Mexique par la loi du 7 janvier 2008 ou encore les Pays-Bas par la loi du 1er Avril 2002.
(7) L'euthanasie peut être qualifiée soit d'un homicide (article 201 et suivants du code pénal) ou d'une aide au suicide (punie par l'article 206 du code pénal).
(8) Abir Aissaoui, Nidhal Haj Salem, Ali Chadly, « Vers un nouveau code de déontologie médicale Tunisien », La Tunisie médicale, Vol 88 (n°06), 2010, p 373-377.
(9) Introduite par la circulaire n°36 du ministre de la santé, datant du 19 Mai 2009.
(10) Article 206 du code pénal.
(11) http://www.ordre-medecins.org.tn/article.php?id_article=285


 
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