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Bulletin d'information n°80. Mars 2015

La nouvelle règlementation relative aux essais thérapeutiques et scientifiques*

Sur fond de bonnes intentions, il semble qu'en matière d'essais cliniques, ce soit le règne de la « débrouille » juridique. A défaut de loi, on élabore des décrets. A défaut de nouveau décret refondant l'ancien, on remanie ce dernier et on le complète par une myriade d'arrêtés.

Si la méthode des mises à jours et compléments textuels peut hérisser les juristes sourcilleux et orthodoxes, par les complications et confusions qu'elle apporte, il n'en demeure pas moins qu'elle manifeste, de la part des pouvoirs publics, une volonté réelle d'améliorer une situation.

Ainsi en est-il en matière d'essais médicamenteux, également dénommés « essais à visée thérapeutique ou scientifique ». Un certain nombre de décrets poussiéreux et incomplets organisaient, depuis de longues années, ce délicat domaine. Longtemps décriés et critiqués car inadaptés, dépassés et incomplets, ils nécessitaient en urgence une mise à jour et des compléments, à défaut de leur refonte totale (1).

Au point de vue théorique, il est illogique et injustifiable qu'un domaine aussi sensible que les essais de nouveaux médicaments ne soit encadré que par des textes règlementaires. Qu'ils soient à visée thérapeutique (volontaires ayant bénéfice direct à l'essai au regard de leur maladie) ou scientifique (volontaires sains), ces essais touchent à la libre volonté de la personne, à sa dignité, à son intégrité physique, risquant de porter atteinte à ses droits fondamentaux, sans envisager les risques de dérives financières qu'ils comportent toujours. Touchant à l'ordre public sanitaire, les essais cliniques relèvent du contrôle des pouvoirs publics et appellent à leur strict encadrement juridique, prévoyant des sanctions dissuasives que seule la loi peut édicter. Car non seulement ces essais ne sont pas sans risques pour les personnes qui s'y prêtent mais surtout, ils constituent une voie de prédilection pour l'immixtion des conflits d'intérêts. En ce domaine, le droit commun ne suffit pas, les dispositions générales du droit civil sont, à elles seules, insuffisantes (2).

Quels sont, en l'occurrence, les textes applicables ? Essentiellement d'un décret datant de 1990, deux fois modifié : en 2001, on remplace l'autorisation relative à l'expérimentation par le respect d'un cahier des charges(3) par le promoteur (4). Dans cette nouvelle logique de contrôle a posteriori, on rajoute en 2001 au laconique article 6 initial (5), un certain nombre de pièces obligatoires. Mais c'est en 2014 que les modifications les plus substantielles se feront, enrichissant considérablement certaines des dispositions du décret 90-1401.

A ce décret, il faut rajouter le code de déontologie médicale (6) et de son Titre 6 « Des règles relatives à l'expérimentation et aux recherches sur l'homme », posant certaines règles et principes en rapport avec l'exercice de la profession médicale : espoir sérieux de sauver la vie, de rétablir la santé ou de soulager les souffrances du malade (art.103) , rapport risques/bénéfices satisfaisant (art.100 et 101), information suffisante et adéquate (art.106) , consentement libre et éclairé du sujet (art.103 et 107).

Les deux décrets exigent, à la base de toute expérimentation le respect des principes moraux et scientifiques qui justifient la recherche en médecine humaine, et l'exigence de personnes scientifiquement qualifiées. « L'expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine doit se faire conformément aux conventions internationales relatives à la santé et aux droits de l'homme, dûment ratifiées par la Tunisie, et aux règles de la déontologie médicale et de l'éthique, relatives à l'expérimentation sur l'homme »(7)..

C'est à la dernière modification de ce texte, en date d'octobre 2014, que nous nous intéressons aujourd'hui car elle est riche en modifications et rajouts de fond. Modifiant le décret susvisé, elle sera complétée, en janvier 2015, par une série d'arrêtés (8).

» Que faut-il retenir de cet ensemble de textes ? Qu'apportent-ils à l'ancien texte ?

1. Des précisions.

-Quant aux personnes pouvant se prêter aux essais d'une manière générale. L'interdiction relative aux mineurs - qui était contournée dans la pratique sur la base des dispositions du cahier des charges - est explicitement levée et encadrée par le recours au consentement « libre, éclairé, écrit » de leur tuteur. Des précautions spécifiques sont prévues pour ce qui concerne leur information et leur consentement (cf. infra).

-Quant aux volontaires sains. les essais auxquels ils se prêtent sont désormais limités à deux par an , séparés par une période minimale de quatre mois. C'est pour cette raison qu'a été créé le fichier national des sujets volontaires sains (Cf. infra).

-Quant à la qualité de l'information (art.5 bis du décret) : l'information donnée aux mineurs et aux malades mentaux le sera dans un langage adéquat. Dans tous les cas, il faudra garder trace écrite de ce consentement, exigence qui ne manque pas de soulever des interrogations.

2. Des nouveautés.

-La première nouveauté concerne la compensation pécuniaire des volontaires sains. L'on sait que, comme tout ce qui touche au corps humain et à la personne(9), la conduite des essais cliniques est gouvernée par le principe de gratuité, renvoyant à la non-patrimonialité du corps humain. L'intéressement pécuniaire des volontaires sains est interdit, car considéré comme présentant trop de risques. Désormais, les choses sont plus claires : la compensation pécuniaire des volontaires sains ou « frais occasionnés par l'expérimentation et la compensation des contraintes subies » (10) s'effectuera sur la base d'un contrat chiffrant dans le détail tous les frais à rembourser et un montant maximal à ne pas dépasser.

-Seconde nouveauté : le fichier spécial des volontaires sains prévu par l'article 2 nouveau (al.5) du décret (11) est mis en place et son modèle fixé par arrêté (12). Le fichier comporte quatre grandes rubriques, avec des renseignements précis à apporter, relatifs à l'expérimentation, au promoteur, à l'investigateur et au volontaire lui-même. Ces rubriques devront être renseignées lors de chaque expérimentation à laquelle le volontaire sain se prête. L'inscription au fichier, effectuée par l'investigateur, a comme objectif la sécurité des personne car elle permet de vérifier qu'elle respecte la période d'exclusion et les dérives mercantilistes des essais.

-Le formulaire détaillé de formalisation du consentement éclairé, avec des variantes plus ou moins protectrices selon le degré de maturité ou de discernement de la personne. -La « personne de confiance » est introduite pour les volontaires illettrés qui l'assistera lors de l'expression de son consentement (13). Cette personne choisie par lui et n'ayant pas d'intérêt direct ou indirect dans la réalisation de l'expérimentation (14). Des craintes subsistent toutefois quant aux pressions pouvant être exercées par l'entourage sur le volontaire illettré pour se prêter à l'essai.

-3.Les comités de protection des personnes se prêtant à l'expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, organes largement inspirés des comités de protection des personnes français. Jusqu'à présent, les essais de nouveaux médicaments en Tunisie, étaient soumis à l'avis de comités d'éthique « locaux », non institutionnalisés, les textes évoquant simplement les « comités » ou « conseils scientifiques » de l'hôpital (15), faute d'autorité spécialement créée à cet effet (16).

Les nouveaux organes ad hoc, sont institués, dont les membres seront nommés par le ministre pour trois années. Ils ont compétence territoriale, déterminée selon le lieu de l'expérimentation. Il faut comprendre par là qu'ils seront rattachés à des établissements publics de santé. et ils se composent de deux types de collèges : scientifique (médecins, pharmacien, infirmier) et sociétal (personnes qualifiées en éthique, juriste, psychologue, représentants d'associations de malades). D'autres personnes peuvent être rajoutées, selon la nature de l'essai à examiner. Mais tous devront certifier sur l'honneur n'avoir aucun conflit d'intérêt, direct ou indirect, avec le promoteur et l'investigateur (17).

Leur saisine est obligatoire et leurs avis motivés et surtout conformes. Ces avis doivent être donnés en référence à certains critères objectifs, déterminés par le texte : l'évaluation bénéfices/risques, le caractère suffisant des informations données aux volontaires et ayant conditionné leur consentement, les modalités de leur recrutement..

-4. Cependant, rien n'est parfait. Malgré les efforts et les progrès apportés à l'encadrement des essais, des insuffisances persistent qu'il s'agisse de flous, de lacunes et d'interrogations. Ainsi, en est-il par exemple de la protection des volontaires sains.. Sur la base du principe de bienfaisance, l'article 4 (second tiret) du décret prévoit que l'essai ne peut être mené lorsque le risque dépasse de loin le bénéfice. Mal rédigé, il semble exclure les volontaires sains de cette mesure de précaution et justifier les risques pris sur eux, à condition qu'ils ne leur causent pas plus qu'un dommage simple. Mais comment évaluer la simplicité d'un dommage ? Ne valait-il pas mieux ne pas introduire cette distinction entre les volontaires sains et les autres ?

Pour conclure, nous dirons que les dernière réforme du décret 90-1401 constitue une avancée certaine dans le sens de la protection des personnes se prêtant aux essais cliniques face aux gigantesques intérêts des groupes pharmaceutiques.

Nous émettons le souhait que la prochaine étape de l'évolution du cadre juridique des essais clinique prendra la forme d'une loi qui poserait des principes, préciserait des définitions et prévoirait des sanctions. Il s'agirait là d'une consécration attendue de la protection des personnes, contre des abus mais aussi contre elles-mêmes, par un texte législatif.

Pr.Amel AOUIJ MRAD

(*) A paraître également dans Médic'info n°33 avril 2015.
(1) Voir les Actes de la IXème conférence annuelle du Comité national d'éthique médicale relative aux Essais cliniques de nouveaux médicaments chez l'homme. Impératifs éthiques et cadre juridique. 2005 (http://www.comiteethique.rns.tn/ethique/CONFERENCES/CONFERENCE9.pdf). Voir également le commentaire de l'ensemble des textes concernant les essais cliniques mais aussi les médicaments rédigés par R. JELASSI BELKHIRIA et S. LAHOUAR, dans l'ouvrage collectif Commentaire des grands textes du droit de la santé, SD A. AOUIJ MRAD. CPU 2012 p. 411 et p.445.
(2) Le décret 90-1401 prévoit le fabricant est civilement responsable à l'égard des experts et des personnes se prêtant aux essais et confère au département de la santé un droit de contrôle et de regard s'il s'avère que le produit créé un risque anormal, qu'il y a des présomptions d'atteinte à la santé des personnes (Chapitre IV).
(3) Ce cahier des charges sera approuvé par arrêté du ministre de la santé du 28 mai 2001.
(4) Il s'agit de la personne physique ou morale qui prend l'initiative de l'essai clinique, tandis que l'investigateur est la personne qui dirige et surveille la réalisation de l'essai clinique, généralement un médecin.
(5) Portant sur les renseignements à fournir par le promoteur dans sa demande d'autorisation.
(6) Décret 93-1155 du 17 mai 1993.
(7) Art. 1er du D. 90-1401.
(8)Il s'agit de 4 arrêtés datés du 13 janvier 2015 et émanant du ministre de la santé.
(9) Dons d'organes, don de sang ; dans d'autres pays, don de sperme.
(10) Art.3 nouveau.
(11) En France, la loi du 20 décembre 1988 (loi Huriet-Sérusclat) avait également institué ce fichier.
(12) Arrêté fixant le modèle du fichier spécial des volontaires sains participant à l'expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine.
(13)« . le consentement éclairé du volontaire illettré doit être recueilli en présence d'une personne de confiance. » (Art. 5 N.).
(14) La personne de confiance existe en droit français ou elle a été créée initialement pour favoriser le consentement des personnes hors d'état de s'exprimer, suivant ainsi l'avis no 58 du Comité consultatif national d'éthique.
(15) Art.18 N. du décret 90-1401.
(16) Voir « Les comités d'éthique locaux ». Deuxième conférence annuelle du Comité national d'éthique médicale. 1997. Voir aussi le rapport de synthèse de A. AOUIJ MRAD lors du séminaire organisé par le CNEM sur le même thème : www.comiteethique.rns.tn/ethique/actualite/RAPPORT_SYNTHESE.doc
(17) Art.9 de l'arrêté du 13 janvier 2015 relatif auxdits comités.


 
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