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Bulletin d'information n°75. Octobre 2014

Données génétiques et évolution scientifiques : que peut le droit ?*

Le droit est un ensemble de textes, cherchant à encadrer les rapports et pratiques que l'on rencontre dans la société. Chaque innovation technologique aura une incidence juridique puisqu'elle pose immédiatement à la société des questions nouvelles. Le droit ne peut les ignorer et devra les intégrer, forçant en cela le conservatisme des juristes.

La rencontre du droit avec l'évolution scientifique, lorsqu'elle prend la forme des données génétiques, ne peut se concevoir dans un cadre uniquement national : la recherche en la matière s'internationalise et les matériaux de recherche proviennent souvent de pays en développement. Les choses ne se contentent pas d'être uniquement techniques : l'empreinte culturelle n'étant jamais bien loin en ce domaine. De plus, si les évolutions scientifiques et technoscientifiques sont quasiment identiques dans tous les pays ayant atteint un certain degré de développement, les systèmes de droit varient sensiblement avec un attachement différencié à certains principes juridiques. Par exemple, le principe de libre disposition du corps que l'on retrouve dans les pays de la Common Law s'accommode mal de la valeur quasi sacrée du corps humain que tendent à reconnaître les pays du système romano-germanique, reflétée dans le principe de dignité.

Les progrès de la génétique et surtout le développement spectaculaire de ses applications font naître, comme tous progrès scientifique, espoir et inquiétude. Les bouleversements technoscientifiques prennent deux directions : celle des tests génétiques avec ses techniques de reconnaissance et d'identification des personnes et celle de la manipulation génétique du modelage et de la reproduction des espèces.

Aux problèmes nouveaux suscités par ce pouvoir d'identification des individus, puissant et original, grâce à l'empreinte puis aux diagnostics génétiques, qui déterminent les risques spécifiques liés à la constitution génétique d'un individu, le droit répond en reconnaissant des droits subjectifs sur les données génétiques. Ainsi en est-il du droit à la protection de l'intégrité physique, reflet du principe homonyme, et qui reflète les droits de l'homme au plan international ou dans les ordres juridiques internes. Ainsi en est-il du principe du principe du respect de la vie privée qui tente de contrer un tant soit peu les avancées de la génétique. Ainsi en est-il de la confidentialité des informations génétiques individuelles qui appelle à une stricte garantie, pour éviter d'insupportables discriminations en matière d'emploi ou d'assurance.

Le pouvoir de manipulation des données génétiques est avéré. Il transforme les avancées de la science biomédicale en un Janus au double visage. Celui, souriant, de la science annonçant les lendemains radieux d'une humanité moins souffrante ; celui, grimaçant, d'une science instrumentalisée à des fins peu avouables.

L'autre grande question soulevée par la révolution génétique est celle de la possibilité d'une médecine prédictive précise et individualisée, qui nous place devant un problème de société encore plus fondamental. Ce sera en effet à la société, par l'intermédiaire de ses hommes de loi, qui aura la responsabilité de déterminer un cadre juridique et éthique prévenant des dérives vers l'eugénisme, projet purement technique d'amélioration de l'espèce humaine par la sélection génétique. Le droit national devra fixer des repères couvrant les grandes questions qui se posent dans le domaine de la bioéthique et réfléchir à la définition de principes fondamentaux et de valeurs communes à l'ensemble de la société.

Le savoir de la génétique s'offre à nous comme un cas exemplaire. Si nous ne parvenons pas à tisser des liens de communication entre les gardiens de ce savoir et la société dans son ensemble, comment pourrions-nous sérieusement envisager notre futur, avec la globalisation de l'économie et de la technologie qu'il appelle ? La génétique, comme le nucléaire ou la découverte du feu, place l'Homme devant une question fondamentale : celle de sa responsabilité.

Le droit tunisien remplit-il ses fonctions d'organisation et de protection de valeurs humaines et sociales en matière de génétique ? Parvient-il à faire sienne l'affirmation « Tout le possible n'est pas souhaitable » ? Suffit-il, pour ce faire, que la loi interdise certaines techniques que la pratique maîtrise et les juges jouent-ils, en ce domaine, correctement leur rôle d'interprétateurs mais aussi de gardiens du bon Droit ?

Car il ne faut pas oublier que l'essentiel des dilemmes droit et science sera préservé chaque fois que l'Homme restera au centre de la préoccupation du scientifique et du juriste. Ce critère d'humanisme doit être au centre de tout débat.

(*)Par Ikbel LOUKIL, enseignante à l'Université de Sfax. Ce bulletin est une synthèse des idées maîtresses de sa thèse « Le droit face à l'évolution scientifique des données génétiques » soutenu le 20 septembre 2014 à la Faculté de droit de Sfax.


 
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