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Bulletin d'information n°73. Mai 2014 (1) .

Brèves réflexions sur la loi 92-52 du 18 mai 1992 relative aux stupéfiants (2) ou quand l'ordre sécuritaire rencontre l'ordre sanitaire.

La loi 92-52 est d'une grande sévérité(3) . Il s'agit d'une manifestation puissante de l'ordre public, non seulement sanitaire, mais dans son sens le plus général incluant contraintes et sanctions. Elle instaure de lourdes peines d'emprisonnement, menaçant tous les consommateurs de tous les stupéfiants existants, simple « joint » (cannabis), médicaments psychotropes, cocaïne ou substituts morphiniques volontairement confondus. La simple tentative est punissable et les circonstances atténuantes ne sont applicables dans aucun cas de figure.

Le but de ce texte est clair : dissuader les éventuels consommateurs, par l'ampleur des interdictions instaurées et la lourdeur des sanctions établies, de toute velléité de passage à l'acte, poussant à l'extrême la protection des individus contre eux-mêmes. Le hic est la confusion - sans doute volontaire - des genres : les consommateurs sont assimilés aux personnes situées en amont de la consommation, tous deux étant des délinquants. Nul doute pourtant que les éléments caractéristiques de l'infraction pénale sont présents dans le second cas et non dans le premier. La consommation de ces stupéfiants, même si elle ne doit pas être banalisée et dépénalisée, reflète une addiction, peut-être même un désespoir et une rupture sociale, méritant davantage compréhension, prise en charge et soins.

Dans cette préhension primaire, dans cet amalgame volontaire, « bête et méchant », tous les actes en relation avec le stupéfiant (consommation, de détention, de culture, de contrebande.. ) sont incriminés et passibles de peines d'emprisonnement (4) .. Le consommateur devenu dépendant, et qu'il faudrait pourtant considérer comme un malade, ne semble pas importer au législateur : il est assimilé, au point de vue du droit pénal, abstraction faite de son âge et de sa situation sociale à un délinquant, ce qui ne manque pas de choquer. Le simple fait de fréquenter un lieu - « sciemment » précise la loi - affecté à l'usage des stupéfiants est punissable(5) .

Même si les juges tentent de rétablir une relative équité en prononçant systématiquement la peine « plancher » prévue par la loi pour les jeunes consommateurs devenus délinquants malgré eux, cette sanction minimale d'une année d'emprisonnement est véritablement effarante et, sans être dissuasive au regard des chiffres dont nous disposons(6) , ne peut être que contreproductive.

Les pouvoirs publics semblent oublier que lorsqu'une grande part de sa population de jeunes se livre à l'usage répété de stupéfiants, il y a une sorte de cri de détresse à entendre. C'est la preuve que cette population souffre d'un profond mal-être. Il s'agit là d'un problème de santé sociale et l'Etat doit avoir le courage de se regarder en face, de reconnaître ses échecs, de comprendre qu'il a, quelque part ou à un certain moment, failli à sa mission, d'encadrement, de contrôle, échoué dans ses politiques d'emploi, de loisirs, d'éducation...

Les pouvoirs publics devraient se pencher sur quelques-uns de nos textes juridiques truffés d'aberrations, de lacunes et de contradictions. Des textes d'un autre temps, mettant à mal l'exigence d'adaptation du droit, ainsi que la mise en phase des finalités de l'action administrative avec les attentes et besoins de la population.

Lueur d'espoir ? Il semblerait qu'un projet de nouvelle législation relative aux stupéfiants soit à l'étude au ministère de la Santé. Il faut espérer que ses rédacteurs aient l'intelligence d'instaurer des peines minima pour les consommateurs, qui seraient organisées par paliers successifs, incluant l'application de l'article 53 du code pénal (7) . et la possibilité du sursis, distinguant finement entre les différents cas de figure.

Il faut espérer aussi que la rédaction de ce texte soit rapidement achevée et soumise à la discussion, pour éviter que d'autres malheureux jeunes dont l'ennui et la détresse ont fait allumer un soir un « joint » croupissent encore longtemps dans nos prisons. Il est grand temps de penser prévention, soins, respect de l'anonymat, réinsertion pour eux.

Amel AOUIJ

(1) Ce bulletin est extrait de notre étude intitulée « Commentaire de la loi 92-52 du 18 mai 1992 relative aux stupéfiants (et des textes associés) » paru dans l'ouvrage collectif de l'Association tunisienne de droit de la santé Commentaire des grands textes du droit de la santé publié au CPU en 2012.
(2) Cette loi a été modifiée à trois reprises : en 1995 (loi 95-94 du 9 novembre 1995), en 1998 (loi 98-101 du 30 novembre 1998), en 2009 (loi 2009- 6 du 26 janvier 2009).
(3) Mais ce n'est pas la seule loi relative aux stupéfiants lato sensu. Il y a aussi la loi 69-54 du 26 juillet 1969 portant réglementation des substances vénéneuses. L'objet de ce texte est d'encadrer tout le circuit de la chaîne de production à la consommation finale de produits stupéfiants, avec une attention particulière pour ce dernier stade. En fait, l'interdiction des stupéfiants et autres substances toxicomanogènes est une histoire ancienne dans notre pays : débutant au XIXème siècle, elle se poursuit durant le Protectorat et l'indépendance avec la loi 64-47 du 3 novembre 1964 portant interdiction de la culture de la plante du cannabis et du pavot à opium et tendant à renforcer la prohibition du takrouri, abrogée par la loi 92-52.
(4) Une à cinq années de prison pour le consommateur ; de 6 à 10 ans pour quiconque permet ou s'entremet en faveur de la consommation ; de 10 à 20 ans pour le trafic en contrebande et le recel ; de 20 ans à perpétuité pour l'appartenance à une bande organisée. Ces peines d'emprisonnement sont toutes accompagnées de peines pécuniaires.
(5) La peine va de 6 mois à trois ans d'emprisonnement.
(6) Usage de drogues en milieu scolaire : résultats de la pré-enquête MedSPAD en Tunisie. Ministère de la santé, juin 2013.
(7) Relatif aux circonstances atténuantes.


 
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