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Bulletin d'information n°71. Mars 2014

Tourisme médical en Tunisie : éléments de réflexion pour une stratégie pérenne

Amel Aouij, Professeur Université Tunis El Manar (1)

« On hasarde de perdre en voulant trop gagner » Jean de La Fontaine, Le héron.

Depuis quelques semaines en Tunisie, le département de la Santé semble s'être focalisé sur un but primordial à atteindre : développer le « tourisme médical », de manière à faire profiter le pays de cette manne de devises providentielle. La Tunisie n'est pas le seul pays qui veut profiter de cette manne : la Jordanie l'a devancé, l'Iran est une destination recherchée pour les pays avoisinants (2) . Dans ce ménage à trois, santé, tourisme et économie s'acquoquinent aux fins d'attirer le plus grand nombre de patients possible vers un système de santé dont la réputation n'est plus à faire.

Ce faisant, à travers cette tendance, il faut relever deux choses.

D'une part, le glissement sémantique opéré. Il y a quelques années, le « tourisme médical » était encore dénommé « Exportations des services de santé » (3). Aujourd'hui, les rencontres et même les stratégies nationales le concernant le dénomment « Tourisme médical », plus attractif et, disons-le, plus commercial. Mais le dénommer ainsi le situe au même plan que d'autres « tourismes », dont pour la Tunisie le « balnéaire », le « culturel », le « saharien » tandis que d'autres pays se font davantage une (triste) réputation sur le « sexuel ». S'il est légitime et normal qu'un département en charge du tourisme utilise cette expression, cela devient plus problématique lorsqu'elle est intégrée dans le discours d'un département en charge de la santé, qui plus est, « publique »<(4).

D'autre part les confusions liées à l'origine même de cette activité, notamment le lien qu'elle établit entre la médecine, une activité de services et les mouvements transfrontières. De ce fait, une image persistante semble caractériser le « tourisme médical » qui est celle des patients occidentaux venant pour des interventions de chirurgie esthétique, de chirurgie ophtalmique ou odontologiques. Cette image ne correspond en fait qu'à une part de la clientèle de ce tourisme en oubliant le côté quantitatif de ce qu'il faut plus sérieusement dénommer « soins octroyés à des non résidents », patients le plus souvent africains. N'est-ce pas là révélateur d'une certaine inégalité implicite dans la conception même de ce « tourisme » ?

Face à cette fougueuse passion, ne convient-il pas de réfléchir posément à ce phénomène avant que ses dérives ne l'emportent sur ses avantages ?

En prenant acte à la fois de la situation actuelle et des objectifs poursuivis par le département de la santé, nous pensons qu'en l'absence de textes et de normes clairs, des dérives sont à craindre, obérant la réussite du système. Il faudrait, dès à présent, prendre garde à préserver un certain nombre d'éléments en tant que cadres d'exercice des différentes activités de ce « tourisme » :

-les textes actuels, même peu nombreux et aux dispositions le plus souvent laconiques, posent des exigences claires quant à l'exercice de la médecine et à l'organisation de cet exercice. Ainsi, la loi du 29 juillet 1991 (5) impose-t-elle aux établissements sanitaires publics et privés des principes clairs d'égalité, de sécurité, de respect de règles d'hygiène, auxquels les services d'inspection du ministère de la Santé doivent assurer respect et effectivité (6) ; ainsi, le code de déontologie (7) pose-t-il les principes fondamentaux devant régir le comportement des médecins dans sa profession et dans ses relations avec ses patients (dignité, droit à l'information, obligation du consentement éclairé, égalité entre les patients.). Si ces principes sont reconnus de manière éparse et toujours insuffisante, il faut néanmoins relever que les juridictions judiciaires et administratives ont fait oeuvre de création en les consacrant explicitement (8) .

-D'un autre côté, les établissements sanitaires privés sont soumis à un cahier des charges(9) fort détaillé fixant, entre autres, leurs normes en personnels, locaux, équipements ainsi que leurs leurs conditions de fonctionnement.

« Tourisme médical », « Tourisme de santé », « Exportations des services de santé ». Beaucoup de chemin reste à parcourir en Tunisie pour établir dans le long terme un nouveau créneau, porteur, lucratif mais aussi dangereux, pour faire en sorte qu'il ne soit pas uniquement considéré comme un vecteur de devises pour le pays. Tout en n'ignorant rien des considérations de réalité et d'actualité, il faudrait aujourd'hui prendre le temps de la réflexion et, à la base de cette « stratégie du tourisme médical », portée par les agences de voyages, les compagnies aériennes, les sociétés de vente de matériel médical, élaborer un texte de référence, revalorisant le rôle de l'Etat si ce n'est puissance publique, du moins régulateur.

Il faudrait prévoir des modalités et des normes de fonctionnement explicites et connues de tous, ainsi qu'un système de responsabilité et de réparation des dommages clair, des manuels de procédure, des assurances obligatoires...

Il faudrait qu'une autorité de régulation spécifique voit le jour dans ce secteur, totalement indépendante et disposant de pouvoirs de sanction. Comme il faudrait aussi réfléchir à des commissions de coordination internationales pour régler les problèmes de fonctionnement, de mouvements transfrontières, et les litiges et différends qui ne manqueront pas de surgir.

Il faudrait, enfin, penser à réviser le décret 2012-1709 du 6 septembre relatif à l'agence nationale de l'évaluation de la qualité des services de santé qui, tel qu'elle est organisée actuellement, n'est ni suffisamment compétente, ni suffisamment indépendante.

« Il vous faudra d'abord passer près des Sirènes. Elles charment tous les mortels qui les approchent. Mais bien fou qui relâche pour entendre leurs chants ! Jamais en son logis sa femme et ses enfants ne fêtent son retour : car, de leurs fraîches voix, les Sirènes le charment, et le pré, leur séjour, est bordé d'un rivage tout blanchi d'ossements et de débris humains, dont les chairs se corrompent... Passe sans t'arrêter ! ». Odyssée d'Homère, Chant XII.

(1) aouijal@gmail.com
(2)http://oumma.com/201592/liran-destination-phare-tourisme-medical-de-sante-mon
(3)M. LAUTIER Les exportations de services de santé des pays en développement. Le cas tunisien. Notes et documents. Agence Française de Développement décembre 2005. A. AOUIJ : Les exportations des services de santé In « Rôle de l'Etat et restructuration des services de santé ». CPU 2009
(4)La dénomination officielle du dépratement de la santé en Tunisie est (ministère de la santé publique). http://www.tunisie.gov.tn/index.php?option=com_ministeres&Itemid=382&Itemid=382
(5)Loi 91-63 relative à l'organisation sanitaire.
(6)Sur l'obligation d'inspection pesant sur le département de la santé à l'égard des cliniques privées, voir Tribunal Administratif, Appel référé, 23 avril 2009, (affaire n° 721115) Chef du contentieux de l'Etat représentant le ministère de la Santé Publique c./ Raafat Khammouma, inédit, commenté sur http://www.atds.org.tn/b25.html
(7)D. 93-1155 du 17 mai 1993.
(8)Cassation civile 23 décembre 2011 n°64876.
(9)Arrêté du ministre de la santé publique du 28 mai 2001.


 
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