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Bulletin d'information n°70. Février 2014

Quelle place pour la santé dans la Constitution du 26 janvier 2014* ?

La Constitution du 26 janvier 2014 se distingue de la Constitution du 1er juin 1959 qui se contentait de poser, dans son Préambule, que le « régime républicain constitue le moyen le plus efficace pour assurer (...) le droit des citoyens à la santé ». La nouvelle Constitution par rapport à sa précédente donne incontestablement une place plus importante pour la santé qui se manifeste par une multiplication remarquable dans le Préambule et dans le dispositif des thèmes en rapport direct ou indirect avec elle, dont le principe de dignité de la personne.

Toutefois, si l'affirmation de la santé comme un droit se conforme finalement avec les standards constitutionnels universels, la manière suivie par nos constituants pour consacrer le principe de dignité est exagérée dans un contexte juridique qui demeure fragile et peu apte à l'accueillir de façon plénière.



1. La santé affirmée comme droit


- De manière implicite à travers l'article 21 de la Constitution qui fait peser sur l'Etat la responsabilité de garantir les droits et libertés individuels et collectifs. Si tant est que la santé constitue un droit faisant partie des droits de l'homme de la 3ème génération, elle ferait ainsi partie, d'emblée, de ce lourd tribut que doit l'Etat à ses citoyens créanciers.

- Dans une envolée lyrique d'ampleur, le constituant intègre même l'enfant comme créancier de l'Etat dans la garantie de ses divers droits, dont celui à la santé et aux soins, à côté de l'éducation et l'enseignement (article 47). La seule manière raisonnable d'interpréter cet article à valeur symbolique, est celle de la gratuité de la concrétisation des droits proclamés.

- La Constitution consacre également des droits qui ont un rapport médiat avec la santé. Ainsi, « L'Etat garantit le droit à un environnement sain et équilibré et la contribution à la sécurité du climat.
Il incombe à l'Etat de fournir les moyens nécessaires à l'éradication de la pollution de l'environnement » (Art.45).

- De manière explicite à travers plusieurs dispositions de la Constitution Le constituant tunisien de 2014 a pris parti de rejoindre le lot des Etats consacrant symboliquement le droit de tous à la santé : « La santé est un droit pour chaque être humain »(Article 38), préférant demeurer à ce premier niveau de l'affirmation dans le vague et la généralité de l'humanité toute entière.

Par la suite, il différencie l'affirmation théorique et symbolique de ce droit humain et les obligations plus concrètes et plus explicites qui en découlent pour l'Etat. « L'État assure à tout citoyen la prévention et les soins de santé et fournit les moyens aptes à garantir la sécurité et la qualité des services de soins de santé » (Art.38 alinéa 2).

Rentrant davantage encore dans le détail de la mise en ouvre de ce droit, il constitutionnalise ce qui existe en Tunisie depuis 1969 (Loi 69-2 du 20 janvier 1969 relative à l'organisation sanitaire remplacée par la loi 91-63 du 29 juillet 1991), soit la gratuité des soins pour certaines catégories socioéconomiques. « L'État garantit la gratuité des soins aux personnes privées de soutien et à faible revenu » (art.38 al.3). Il faut d'ailleurs préciser que cette gratuité n'est que partielle, absolue pour certaines personnes figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, relative pour la plupart des autres. Il faut savoir aussi que cette seconde gratuité, aujourd'hui organisée par le décret 98-409 du 18 février 1998 (modifié à plusieurs reprises notamment par le décret 2012-2522 du 16 octobre 2012), ne concerne que les personnes non couvertes par un régime d'assurance maladie.

La nouveauté est dans l'alinéa 4 de ce même article 38 : l'Etat « garantit le droit à une couverture sociale, dans les conditions prévues par la loi ». Cependant si l'association de la couverture sociale avec le droit à la santé est en soi une avancée, le choix par les constituants de l'expression « couverture sociale » ou lieu de « couverture médicale » nous semble très restrictive dans une optique de consécration constitutionnelle d'un droit à la santé pour tous.

D'abord la couverture sociale n'englobe que certaine catégorie de travailleurs (essentiellement les salariés des secteurs publics et privés), certes majoritaires mais loin d'englober l'ensemble de la population.

Cette expression contredit ensuite une tendance qui s'observe un peu partout dans le monde et qui consiste à « autonomiser » l'assurance maladie par rapport à la sécurité sociale, en tant que partie prenante fondamentale de la politique sanitaire. Cette tendance qui a été consacrée en Tunisie par la loi 2004-71 du 2 aout 2004 portant institution d'un régime d'assurance maladie aurait du être constitutionalisée. L'expression « couverture sociale » de l'article 38 réduit finalement la couverture médicale en une simple branche de la sécurité sociale et non en tant que principale expression de la solidarité nationale en matière de prise en charge des dépenses de santé.



2. Une consécration exagérée du principe de dignité


Le principe de dignité dépasse et englobe le droit à la santé. Il n'empêche que tous deux peuvent être liés si la culture sociologique du pays s'y prête. En effet, on peut penser, comme c'est le cas en France, que la dispensation de soins, les actes médicaux et chirurgicaux vont de pair avec la dignité du patient. Les recherches sur la personne, les essais cliniques, le respect du au cadavre, tout cela engloberait également la dignité.
Tel n'est pas le cas aux Etats-Unis et à cet égard, le principe de dignité a été qualifié par certains comme l'expression d'une nouvelle morale dominante.

Le constituant tunisien, dans son farouche désir de marquer la mémoire collective de l'origine du texte constitutionnel, à savoir la Révolution de 2011, entame dans son texte une véritable ode au principe de dignité.

Débutant par le Préambule « Considérant la place de l'Homme en tant qu'être digne », se poursuivant par des dispositions générales, « La devise de la République tunisienne est : Liberté, Dignité, Justice, Ordre » (article 4).

« Il [L'Etat] veille à leur assurer les conditions d'une vie digne» (art.21).

Même l'enfant est inclus dans cette obligation puisqu'il « incombe à l'Etat de lui garantir le droit à la dignité (.) » (art.47).

La dignité a des ramifications avec un autre principe clé du droit de la santé qui est l'intégrité physique, consacré par l'article 23 de la Constitution qui les lie en interdisant toutes les formes de torture.

L'exigence de dignité est réitérée pour les personnes vulnérables soit de manière explicite pour les détenus et personnes privées de liberté (art.30), soit de manière implicite pour les personnes handicapées : « Tout citoyen handicapé a le droit de bénéficier, selon la nature de son handicap, de toutes les mesures qui lui garantissent une pleine intégration dans la société ; il incombe à l'Etat de prendre toutes les mesures nécessaires à cet effet ». (Art.48)

* Amel AOUIJ MRAD et Karim CHAYATA.
(1) Pour Ruwen Ogien par exemple, les références constantes à la « dignité humaine », ne font que masquer le conservatisme de la législation bioéthique.Voir son ouvrage La vie, la mort, l'Etat. Le débat bioéthique. Grasset 2009.


 
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