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Bulletin d'information n°68. Décembre 2013

Intersexualité et changement d'état-civil (Jugement du tribunal de première instance de Tunis du 24 juin 2013*)

Le cas surmédiatisée de la Sud- Africaine Caster Semenya, championne du monde du 800 mètres féminin à Berlin (août 2009) avait révélé au grand public les possibles incertitudes du sexe, lorsque son titre de championne fut contesté en raison de son apparence trop «masculine» (1). Se posait alors au grand jour le cas des intersexués ou hermaphrodites, suscitant toujours, à défaut d'un respect sacré comme en Inde (2), interrogations et tourments. Contrairement à la transidentité qui se base sur des données sociologiques, l'intersexuation se base sur des données scientifiques et surtout génétiques.

Pour les juristes, les intersexués posent essentiellement des problèmes d'état-civil car si la loi ne définit pas le sexe, elle prescrit sa mention sur l'acte de naissance (3) et c'est cet acte de naissance qui devient la preuve du sexe de la personne, entraînant toute une série de conséquences. A partir de cette spécification faite à la naissance, le sexe fera partie de l'état de la personne.

C'est à ce niveau que se situe les faits relatifs au jugement que nous étudions aujourd'hui.

Née avec l'apparence et les caractéristiques anatomiques d'un enfant de sexe féminin et dénommé sur cette base Fatma, le requérant va constater à sa puberté, les différences relativement visibles qui commencent à l'opposer à ses sours et à ses camarades filles. Souffrant de l'ambiguïté de la situation, il finira par demander à subir des analyses génétiques, afin de déterminer son sexe réel.

Le rapport d'expertise médicale établi à son sujet qualifie le cas de Fatma Mlaieh de « pseudo hermaphrodisme masculin ». C'est sur cette base qu'elle/il saisira le Tribunal de première Instance de Tunis afin d'obtenir l'autorisation de modifier son acte de naissance en changeant de prénom, manifestation de son changement de sexe : de Fatma il veut désormais se dénommer Mohamed Ali. Le juge s'inclina devant le rapport médical et rendit un laconique jugement autorisant sur cette base Fatma à changer de prénom et de sexe sur son état-civil.

La comparaison jurisprudentielle en matière de transsexualisme est malaisée en Tunisie car une seule affaire est antérieure à notre jugement (4). Dans cette affaire - appelée « affaire Sami-Samia»- , il y avait eu action de l'homme sur son corps et plus précisément sur ses caractères génitaux sexuels car Sami avait pris l'initiative de forcer la main à la nature. Né garçon, il avait commencé par changer de sexe au moyen de multiples traitements hormonaux et opérations chirurgicales afin d'acquérir les caractéristiques anatomophysiques du sexe féminin puis avait demandé au juge de pendre acte de cette situation.

Le seul point commun des deux transsexuels était leur démarche juridique, identique : elle consistait à demander au juge de prendre acte d'une situation où sexe d'état-civil - concrétisé par un prénom - et caractéristiques physiques (dans le premier cas) ou caractères génétiques (dans le second cas) ne correspondaient plus.

Le changement d'état-civil fut refusé à Sami pour des motifs divers et multiples d'atteinte à l'ordre public, de prescriptions religieuses et de morale. Il fut accordé à Fatma sur la base exclusive du rapport d'expertise médicale. Fondement unique de la décision juridique, dans quelle mesure ce rapport constatant l'existence d'un caryotype de type masculin a-t-il fait que les juges se considèrent dans une sorte de situation de « compétence liée » ?

Au-delà de la satisfaction que procure non pas la lecture de l'arrêt, qui est d'un pauvre apport en arcanes juridiques, mais de la reconnaissance d'une forme de liberté individuelle révélée par sa solution, l'interrogation point. Ce jugement ne cache-t-il pas en fait une soumission aux données de la nature et en quelque sorte à l'inné ? Derrière cette question ne sont-ce pas les mêmes sourdes querelles opposant fixistes et évolutionnistes qui se cachent ? En fait, et comme dans toutes les interprétations, chacun peut rattacher la présente décision aux arrières pensées et aspirations qui lui conviennent le mieux, en lesquelles il se reconnaît et se complait le plus.

aam

* N°88908, inédit.
(1) Les tests et analyses révèlent que l'athlète est intersexe avec une production inhabituelle de testostérone mais le 6 juillet 2010 l'IAAF elle autorise à recourir.
(2) http://www.academia.edu/4737921/Les_incertitudes_du_sexe
(3) Loi 57-3 du 1er août 1957, règlementant l'état-civil, article 26 « L'acte de naissance énoncera (.) le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui seront donnés (.)».
(4) Tribunal de première instance de Tunis, 8 février 1993, n°5984 et Cour d'appel de Tunis 22 décembre 1993, n° 10298.


 
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