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Bulletin d'information n°67. Novembre 2013

Commentaire de la loi organique 2013-43 du 23 octobre 2013 relative à l'Instance nationale pour la prévention de la torture (et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) (JORT n°85 du 25 octobre 2013 page 3075)

Découvrir un texte destiné à contrer le recours à la torture dans le journal officiel est une heureuse surprise. Quelque soit l'infraction accomplie, quelle que soit les crimes qu'on prête à une personne ou la prétendue importance des renseignements qu'on cherche à lui soutirer, il est inhumain et abject de recourir à la dégradation physique ou psychologique pour parvenir à ces fins. Bafouant toute dignité, déniant l'humain, la torture constitue une pratique indéfendable par laquelle - mais la plupart l'ignorent - le tortionnaire se croit puissant mais se renie en tant qu'Homme autant qu'il s'avilit.

En Tunisie, le mouvement de lutte et de dénonciation des actes de torture s'est fait en deux temps : celui de l'apparat, sous un aspect purement formel qui s'est manifesté par la signature (août 1987) puis la ratification (septembre 1988) de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants . Puis vint le temps d'une lutte plus réelle, marqué de la symbolique du rejet du passé et de l'euphorie postrévolutionnaire (2). Le 29 juin 2011 (3), le Gouvernement tunisien déclara reconnaître la compétence du Comité contre la torture institué par l'article 17 de la Convention pour recevoir les communications prévues aux articles 21 et 22 et lever ainsi toute réserve à ladite Convention. Cette reconnaissance prit donc la forme de son adhésion au Protocole facultatif de la Convention de 1984 (New York 18 décembre 2002) qui établit un « système de visites régulières effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants dans les lieux où se trouvent les personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (article 1er). Concomitamment, « Chaque État Partie met en place, désigne ou administre, à l'échelon national, un ou plusieurs organes de visite chargés de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (article 3). C'est le « mécanisme national de prévention »mis en place par la loi organique 2013-43 que la Tunisie était obligée de mettre en place une année après son adhésion (article 17).

Ce Protocole apparaît donc contraignant au niveau de ses effets dans le droit positif des Etats l'ayant accepté. Il engendre un grand nombre de conséquences que l'on retrouve dans le texte de la loi. Il oblige à prendre en compte ses dispositions concernant la mise en place d'un mécanisme national de prévention de la torture indépendant et composé d'experts. Cette structure devra être doté de ressources de fonctionnement suffisantes et aura des compétences ad minima imposées, tout autant que le seront les attributions dont elle disposera.

Ainsi, le 23 octobre 2013, l'ANC adopta la loi organique n°2013-43 mettant en place l'Instance nationale pour la prévention de la torture.

Son indépendance est d'abord organique puisqu'elle se manifeste au niveau de la composition de l'Instance : elle comprend 16 membres dont 6 du monde associatif (4), 2 universitaires, 2 avocats, 3 médecins, 2 juges retraités et un spécialiste dans la protection de l'enfance, tous âgés de 25 ans au moins et choisis sur la base de leur candidature. La loi utilise comme critère qualificatif de choix de ces personnes l'intégrité, l'indépendance et l'impartialité. Deux sortes de sauvegardes sont prévues, sortes de garde-fous aux éventuels empiètements ou dérives. La première tient au passé judiciaire de ces personnes qui ne devront pas avoir subi une condamnation quelconque « pour une raison contraire à l'honneur ». La seconde tient au passé politique de ces personnes qui ne devront pas avoir appartenu au RCD.
Les membres de l'Instance sont élus parmi les personnes ayant présenté leur candidature par l'assemblée plénière de l'organe détenant le pouvoir législatif, sans doute parce que cet organe est considéré comme étant le moins perméable aux risques de pression externes puisque collégial .

Cette indépendance organique aura sans doute des conséquences fonctionnelles.

Les lieux de détention, qui composent la base matérielle de l'action de l'Instance, sont appréhendés de manière large et sont en cela fidèles à l'appréhension par le Protocole de la « privation de liberté » comme étant « toute forme de détention ou d'emprisonnement, ou le placement d'une personne dans un établissement public ou privé de surveillance dont elle n'est pas autorisée à sortir à son gré, ordonné par une autorité judiciaire ou administrative ou toute autre autorité publique » (article 4.2).
Le texte tunisien entend quant à lui par « lieux de détention », non seulement les prisons, centres de rééducation, d'observation des mineurs, de garde. mais aussi les centres destinés aux immigrés, les centres de transit frontaliers, les établissements de psychothérapie et même les moyens de transport utilisés pour transporter des personnes privées de liberté (art.2-2).

Autre parallélisme entre les deux textes : les attributions de l'Instance. sont extensivement entendues. Il y a d'une part des attributions essentielles, que l'on pourrait qualifier d'attributions « de terrain » qui consistent à effectuer des visites périodiques -régulières et inopinées - dans les lieux de détention afin de s'assurer de l'inexistence de torture ou de traitements dégradants et de la compatibilité des conditions de détention avec les normes internationales. D'autre part, il y a des attributions parallèles et complémentaires aux premières consistant à recevoir et étudier les plaintes concernant d'éventuels cas de torture, à les transmettre aux autorités compétentes, adopter des directives, à créer une base de données, à donner son avis sur les projets de textes et à mener toutes sortes de recherches et d'études en rapport avec la torture. L'objectif ultime de l'ensemble de ces attributions étant d'ouvrer à inculquer une conscience sociale contre la torture.

Enfin, les pouvoirs de l'Instance sont tout aussi étendus, puisqu'elle peut accéder à toutes les informations tant relatives aux lieux de détention et aux personnes privées de liberté que relatives à leurs conditions de détention. Ses membres jouiront de toutes les facilités administratives pour accéder et visiter les lieux de détention et pourront, durant ces visites, rencontrer en privé les personnes privées de liberté.

L'avenir nous révèlera ce que l'Instance, une fois mise sur pied, fera de ses pouvoirs : mieux elle saura les utiliser et plus aiguë sera la conscience des droits de l'Homme et leur indispensable protection en Tunisie. Sa mission, si elle apparaît comme essentielle, pour la construction d'une véritable culture des droits de l'Homme n'en sera pas moins fort difficile et délicate à mener.

aam

1 Datée du 10 décembre 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987.
2 Auparavant, il y avait les 4 conventions de Genève du 12 août 1949.
3 Par réaction aux abus passés, par volonté de tourner définitivement une page un ample mouvement de défense des droits de l'Homme a vu le jour après la Révolution de janvier 2011. Dès les premiers jours ayant suivi l'ère Ben Ali, une Commission fut constituée pour enquêter sur les crimes et actes de torture commis durant les 23 années de son régime.
4 Ayant assumé durant deux ans au moins une responsabilité dans une organisation de défense de droits de l'Homme.




 
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