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Bulletin d'information n°63. Avril 2013

Commentaire d'arrêts (1)
En témoignage de mon attachement à la dynamique ATDS ce commentaire d'arrêt (destiné à la 13 ème édition de mon ouvrage de "Droit administratif général" à paraître en septembre 2013).
Il marque l'évolution du fondement de la responsabilité hospitalière et de l'appréciation du préjudice indemnisable. A la différence de la Cour de cassation, le Conseil d'Etat n'admet pas la perte de chance mais retient un nouveau préjudice, celui d'impréparation. JMD

Responsabilité hospitalière : consentement du malade, perte de chance, préjudice d'impréparation

CE, 26 octobre 2001, "Mme Senanayake", CE, 10 octobre 2012, "M.C."


CE, 26 octobre 2001, "Mme Senanayake"
" Considérant que M. X. avait déclaré qu'il refusait, en tant que témoin de Jéhovah, que lui soient administrés des produits sanguins, même dans l'hypothèse où ce traitement constituerait le seul moyen de sauver sa vie ; qu'il a réitéré son refus le 23 janvier 1991 devant un médecin de l'hôpital Tenon, en présence de son épouse et d'une infirmière, et qu'il l'a maintenu par la suite, alors qu'il était informé du fait que cette attitude compromettrait ses chances de survie ; que, toutefois, durant la période du 28 janvier au 6 février 1991, date du décès de l'intéressé, des transfusions sanguines ont été pratiquées à la suite de l'apparition d'une grave anémie ;
Considérant que, compte tenu de la situation extrême dans laquelle M. X. se trouvait, les médecins qui le soignaient ont choisi, dans le seul but de tenter de le sauver, d'accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ; que, dans ces conditions, et quelle que fût par ailleurs leur obligation de respecter sa volonté fondée sur ses convictions religieuses, ils n'ont pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Paris, qu'en raison de la gravité de l'anémie dont souffrait M. X. le recours aux transfusions sanguines s'est imposé comme le seul traitement susceptible de sauvegarder la vie du malade ; qu'ainsi, le service hospitalier n'a pas commis de faute en ne mettant pas en œuvre des traitements autres que des transfusions sanguines ;
Considérant que M. X. ayant été en mesure d'exprimer sa volonté Mme X. n'est pas fondée à soutenir que les médecins de celui-ci auraient commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris en s'abstenant de la consulter personnellement ;

CE 10 octobre 2012 " Mr C. "

Considérant que, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation ;
Considérant qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à
l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée ; que c'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance ;
Considérant qu'indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a pu subir du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles ; que, toutefois, devant les juges du fond, M. X n'a pas invoqué un tel préjudice, dont il lui aurait appartenu d'établir la réalité et l'ampleur ; que, contrairement à ce qu'il soutient, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en ne déduisant pas de la seule circonstance que son droit d'être informé des risques de l'intervention avait été méconnu, l'existence d'un préjudice lui ouvrant droit à réparation.

Introduction

- M. Senanayake, est traité à l'hôpital Tenon à Paris. Témoin de Jéhovah, il précise, par écrit, qu'en raison de ses convictions il refuse de subir des transfusions sanguines, ce qu'il confirme oralement devant un médecin, ajoutant qu'il est conscient des risques de ce refus pour sa survie. Quelques jours plus tard, les médecins constatant une anémie importante, qui privait de chances de succès le traitement de son insuffisance rénale, procèdent à des transfusions qui seront insuffisantes à son rétablissement et il décède peu après.
- Sa veuve engage une action en responsabilité contre l'hôpital pour préjudice moral du fait du non-respect de sa volonté et de celle de son mari. Le TA de Paris, puis la CAA de Paris rejettent cette demande, estimant que l'obligation pour le médecin de sauver la vie d'un patient l'emporte sur la volonté de celui-ci. Le Conseil d'État, dans un arrêt d'assemblée rejoint cette solution en estimant que le droit au consentement du malade, liberté fondamentale, fait obligation aux médecins de n'y apporter des exceptions que dans des situations extrêmes (I).
- M. C. subit l'ablation d'une tumeur rectale suivie de complications ce qui nécessite une nouvelle intervention un an plus tard. Il invoque la responsabilité de l'hôpital pour défaut d'information quant aux risques encourus (une atteinte aux fonctions sexuelles). La CAA admet le défaut d'information mais, au motif que l'intervention chirurgicale était impérieuse, elle refuse de reconnaître une perte de chance, ce que confirme le Conseil d'Etat. L'intérêt de cette affaire est la reconnaissance par le CE, comme l'avait fait peu de temps auparavant, la Cour de cassation, d'un nouveau préjudice, celui d'impréparation (II).

I. Le respect du consentement du malade

A. Une consécration jurisprudentielle et législative
- Dans un arrêt du 28 janvier 1982, la Cour de cassation consacre l'obligation de recueillir le consentement du malade. La violation de cette règle est à la fois un manquement du médecin à ses devoirs professionnels et une atteinte grave aux droits du malade. Le médecin qui ne respecte pas le consentement du malade porterait atteinte à l'inviolabilité du corps humain rattaché au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine (CC, décision du 27 juillet 1994). Le droit au consentement ne connaît que deux limites légales : l'urgence ou l'impossibilité (V. art L111-2 et L1111-4, C. Santé publique).
- Le CE reconnait expressément que l'atteinte au consentement du malade puisse être à l'origine d'un préjudice moral. Mais il n'étend pas ce préjudice au défaut ou à l'insuffisance de l'information. La position de la Cour de cassation est plus ouverte.
- Le consentement aux soins suppose l'information du malade laquelle est une obligation qui s'impose aux praticiens : CE, 5 janvier 2000, " Assistance publique c/ Telle ". Elle inclut l'ensemble des risques connus de décès ou d'invalidité, même si ces risques ne se réalisent qu'exceptionnellement.
- Il faut cependant distinguer entre le droit à l'information et le respect du consentement. Ce dernier est consacré comme une liberté fondamentale pouvant être invoquée à l'occasion d'un référé : CE Ord. .16 août 2002, " Mme V. " à la différence du droit à l'information. Le législateur admet que le patient puisse donner son consentement sans avoir voulu être informé : " la volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de contamination. Il y a un droit de savoir comme un droit de ne pas savoir.
- Le consentement de l'intéressé doit être recueilli " préalablement ", et " la personne malade peut s'opposer à toute investigation ou thérapeutique " .Sauf s'il a fait l'objet d'une hospitalisation d'office, le patient majeur peut quitter l'hôpital, sur sa demande, à tout moment.

- En l'espèce, le refus du malade avait été formulé en toute connaissance de cause, reposant sur une conviction morale et son état psychologique ne présentait pas de troubles particuliers. Il n'était pas dans un état de sujétion à l'égard d'une secte, la situation des Témoins de Jéhovah ayant été considérée par le juge comme ne présentant pas de risques de menace à l'ordre public : CE, 23 juin 2000, " Ass. pour le culte des Témoins de Jéhovah à Clamecy ".
Les textes ne prévoyant pas la possibilité pour le médecin de passer outre la volonté du patient, quelles sont ses obligations?

B. Les obligations du médecin et leur limite

- L'arrêt " Senanayak " confirme la position traditionnelle du juge administratif qui estime que l'obligation de donner les soins nécessaire à la survie l'emporte sur l'obligation de respecter la volonté des malades. Le médecin qui, à la demande du malade, refuserait ces soins indispensables commettrait une faute professionnelle.
- Ce droit du médecin ne peut se fonder sur son désir d'échapper au délit de non-assistance à personne en danger, prévu par l'article 223-6 du Code pénal. La jurisprudence s'est, en effet, voulue rassurante qui met à l'abri des poursuites pénales le médecin dès lors qu'il a proposé une thérapeutique estimée nécessaire et qu'il s'est heurté à un refus sans ambiguïté du malade : Cass. crim., 3 janvier 1973.
- L'arrêt refuse d'établir une hiérarchie entre l'obligation de soigner et celle de respecter la volonté du malade. Il invite les médecins à " choisir " en fonction de chaque situation particulière, laquelle, en l'espèce, était une " situation extrême ". Il les incite à n'accomplir que les " actes nécessaires à la survie " du malade et " proportionnés à son état ", dans " le seul but de tenter de le sauver ". La gravité de l'anémie dont souffrait M. Senanayake était telle que " le recours aux transfusions sanguines s'est imposé comme le seul traitement susceptible de sauver la vie du malade ".

II. Le préjudice : perte de chance et impréparation

A. Perte de chance

- Il y a perte de chance et préjudice indemnisable dans l'hypothèse où, bien informé, le patient aurait pu choisir une autre alternative thérapeutique. Mais la perte de chance n'est pas retenue si le patient n'avait pas de choix possible en raison du caractère impérieux de l'intervention ou du traitement.
La jurisprudence du CE (arrêt " Telle, 5 janvier 2000 " précité) et de la C. Cass. (arrêt " Hédreul ", 20 juin 2000) se rejoignent. Les deux Hautes juridictions avaient préféré retenir la perte de chance plutôt que le préjudice moral.
- En l'espèce, La CAA et le CE admettent le défaut d'information quant aux risques encourus mais, au motif que l'ablation de la tumeur était une intervention impérieuse, ne reconnaissent pas la perte de chance.
- La question restait posée de l'hypothèse où le patient n'ayant pu s'opposer à l'intervention ou au traitement en raison de leur caractère impérieux, il ne pouvait invoquer ni une perte de chance, ni un préjudice moral du fait d'un défaut d'information.
- Une alternative a été trouvée avec la reconnaissance du préjudice d'impréparation.

B. Impréparation

- La C. cass. avait admis ce nouveau préjudice dans un arrêt du. 3 juin 2010. Le CE fait de même dans l'arrêt " M.C " en estimant que " le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques encourus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a pu subir du fait qu'il n'a pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles ".
- Le préjudice d'impréparation ne s'applique que lorsque l'intervention ou le traitement ont un caractère impérieux. Le patient ne pouvait échapper au risque mais il aurait pu s'y préparer.
Lorsque le patient aurait pu échapper au risque s'il avait été mieux informé conservant sa liberté de choix la perte de chance absorbe l'impréparation au risque et se substitue à elle.
- Il connaît une limite car il ne sera pris en compte que si le préjudice s'est réalisé causant un dommage corporel.
- En l'espèce, le préjudice d'impréparation, faute d'avoir être invoqué, ne sera pas pris en compte et le CE, juge de cassation, renvoie à la CAA le soin de rejuger l'affaire.

Conclusion

Ces deux affaires montrent l'impériosité du droit à l'information en matière médicale ainsi que les difficultés, parfois, de sa mise en œuvre. La première affaire établit le lien mais aussi l'autonomie entre le droit à l'information et le respect du consentement du malade. Cette liberté fondamentale a priorité. Le droit à l'information ne connaît comme limite que l'urgence ou l'impossibilité, ce qui est le cas lorsque l'acte médical est indispensable à la survie et proportionné à l'état du malade.
La seconde affaire montre le souci du juge de combler le vide causé par la non reconnaissance de la perte de chance lorsque l'acte est impérieux et la non reconnaissance du préjudice moral pour défaut d'information sur les risques encourus.
Elles témoignent de la volonté des deux juridictions suprêmes d'harmoniser leurs jurisprudences sur des questions voisines sans tenir compte du caractère public ou privé des établissements de soins.
Jacqueline MORAND DEVILLER

1) Par Jacqueline MORAND DEVILLER. Professeur Emérite à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne.



 
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