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Bulletin d'information n°57. Octobre 2012
"La protection des données génétiques en Tunisie :
une nécessaire réforme de la loi"
A l'heure où l'implantation de biobanques sont à l'ordre des discussions dans nombre de pays, dont la Tunisie, l'on est en droit de s'interroger si notre législation
actuelle pourrait provisoirement convenir, en protégeant l'individu dans ses droits à l'intimité, à l'information, au consentement quant à l'utilisation de ses données.
Une biobanque se définit comme " des collections d'échantillons de substances corporelles humaines (p. ex. des cellules, des tissus, du sang et de l'ADN en tant que support
matériel de l'information génétique), qui sont ou qui par la suite peuvent être associés à des données et des informations personnelles concernant leur donneur. Les biobanques
présentent un double caractère: elles sont des collections à la fois d'échantillons et de données "(1).
Rappelons, pour montrer l'actualité de ce sujet, que les biobanques ont constitué l'un des axes de réflexion lors du IXème Congrès mondial des comités nationaux d'éthique
tenu à Tunis les 25 et 26 septembre 2012.
" Les données génétiques ayant été recueillies, la confidentialité, l'exactitude, la fiabilité et la sécurité doivent être assurés à tous les stades " la collecte, le traitement, l'utilisation, la
conservation " et ce d'autant plus que, comme nous l'avons mentionné l'information génétique n'est pas propre à l'individu lui-même : elle est aussi celle des parents, frères et
sœurs et enfants. C'est pour ces raisons que les données génétiques, non anonymisées nécessitent un cadre spécial de confidentialité et d'accès pour éviter des dérives
préjudiciables à l'intéressé lors d'emploi, de scolarisation et d'autres domaines d'ordre social "(2).
Nulle législation n'existe concernant les biobanques en Tunisie, hormis la loi 2004-63 du 27 juillet 2004 (3) mais qui ne concerne qu'un pan du problème, qui serait l'activité de
collection " traditionnelle "(4) , et non les utilisations futures du matériel conservé.
Ce texte lui-même révèle de grandes insuffisances.
D'abord car données de santé, données sensibles et données génétiques y sont toutes trois évoquées comme autant de notions se recoupant mais non distinguées au point de vue de leur définition(5).
Ainsi, le texte ne prend pas en considération des évidences, tel le fait qu'une donnée de santé est obligatoirement une donnée sensible et qu'elle peut se recouper avec une
donnée génétique. Chacune d'entre elle est traitée séparément.
Ensuite et quant aux données génétiques à proprement parler, leur traitement n'est envisageable que si le consentement préalable, exprès et écrit, de la personne
concernée a été obtenu. Mais si leur diffusion est nécessaire pour la présentation de résultats de recherche, il n'est plus besoin de ce consentement(6) ce qui constitue une
sorte d'aberration.
Enfin, l'article 53 de la loi 2004-63 annihile en quelques phrases l'ensemble des précautions précédemment établies pour le traitement des données personnelles et
accroît la confusion. Autorités publiques, collectivités locales, établissements publics administratifs, établissement publics de santé sont dispensés de toutes les exigences
textuelles pour le traitement des données personnelles qu'ils effectuent(7).
Cette restriction se trouve être en porte-à-faux avec le principe de protection de la vie privée de l'individu. Depuis 1987, la Cour européenne des droits de l'homme posait que
"la mémorisation par une autorité publique de données relatives à la vie privée d'un individu constitue une ingérence au sens de l'article 8 [de la Convention européenne des droits de
l'homme]. L'utilisation ultérieure des informations mémorisées importe peu"(8).
La loi 2004-63 ne joue donc pas son rôle de protecteur des libertés individuelles et des droits fondamentaux. Sa révision s'impose, tout autant que s'impose une réflexion sur
un texte spécifique aux biobanques en Tunisie.
(1) http://ec.europa.eu/research/biosociety/pdf/ethikrat_biobanks.pdf
(2) Béchir HAMZA. Rapport introductif à la huitième conférence annuelle du Comité nationale d'éthique médicale " La génétique humaine ".
(3) Loi portant sur la protection des données à caractère personnel.
(4) Avis n°77 du Comité consultatif national d'éthique (France) relatif aux ….
(5) L'arrêt de la CJUE du 6 novembre 2003 (Aff. Lindqvist) donne une définition large des données de santé dont il faudrait sans doute s'inspirer pour une réforme. Il les définit comme l'ensemble des " aspects physiques et psychiques de la santé d'une personne ".
(6) Article 68 de la loi.
(7) Il est complété en cela par l'article 54 de la loi : " Le traitement réalisé par les personnes mentionnées à l'article précédent n'est pas soumis aux dispositions des articles (…) ".
(8) Leander c. Suède 26.03.1987, Kopp c. Suisse 25.03.1998, Amann c. Suisse 16.02.2000.
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