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Bulletin d'information n°47. Octobre 2011

La censure des sites pornographiques en Tunisie : quand la morale des juges impose sa vision de la santé sociale



La cour d'appel de Tunis a rendu le 15 août 2011 (n°24675) l'arrêt suivant concernant l'appel interjeté par l'Agence tunisienne d'Internet (A.T.I.) contre le jugement du Tribunal de première instance de Tunis en date du 26 mai 2011 (n°99325).

Le tribunal commence par rejeter le premier argument avancé par l'A.T.I. relatif à l'incompétence du juge judiciaire. Pour l'Agence, le litige relatif à la censure des sites pornographiques a caractère administratif car il touche à un problème d'ordre public soulevant l'utilisation de moyens de police. La Cour ne se situe pas au même niveau d'argumentation et se base maladroitement sur l'argument organique, l'A.T.I étant une société anonyme gérée par le droit privé.

La Cour semble estimer indispensable, pour le litige en cause, de rappeler à l'Agence ses missions de police : chargée de superviser les fournisseurs de services internet en Tunisie elle est responsable ipso facto de la diffusion [ou de la non diffusion] des sites pornographiques en Tunisie.

Poursuivant son argumentation, la Cour rejette prestement les arguments techniques avancés par l'ATI, difficultés objectives et réelles empêchant les opérations de brouillage de sites, qui ne doivent - raisonnement par l'absurde - " en aucun cas empêcher le brouillage et permettre le libre accès au réseau Internet ".

L'argumentation des magistrats se fonde essentiellement sur un argument moralisateur : la liberté totale de navigation sur Internet " mène à la perte des normes morales que la jeunesse doit être habituée à respecter et l'encourage à accepter de composer avec des pratiques contredisant l'exigence de construction d'une société saine au regard de ses comportements et de sa psychologie ". Alambiquée, cette formule semble avant tout médiatiser l'aspect pudibond du considérant et prôner une morale sociale dominante qui doit être imposée.

Cet élément essentiel doit mener, selon la Cour, au brouillage de tous les sites pornographiques. Les " agressions " (sic) quotidiennes vécues par les membres de la société tunisienne, agressions entraînent des " dommages physiques, moraux, comportementaux et même juridiques " doivent être arrêtées au plus vite. Ce danger imminent justifie pour le Tribunal l'action en référé et l'amène en toute logique à confirmer le jugement de premier ressort.

Cet arrêt nous semble dangereux par les confusions et les approximations qu'il recèle.

D'abord juridiquement, son argumentation est bâclée car la cour d'Appel ne fait aucune référence à des concepts juridiques ni ne renvoie à des textes juridiques. Les magistrats, en cherchant à argumenter pour expliquer leur décision, glissent rapidement vers l'argumentation morale qui n'est que le reflet de leurs propres convictions.

Ensuite socialement, il mène à des confusions : entre le rôle des acteurs publics et celui des acteurs privés, favorisant une démission parentale au profit d'une police de l'Internet. Confusion entre une mission technique de supervision des sites Internet dévolue à l'A.T.I. et une mission - désormais dépassée - de répression cybernétique.

Enfin, cette décision donne une vision erronée de ce que doit être la santé sociale : selon la Cour, celle-ci devrait s'élaborer dans une sorte d'ambiance éthérée et prude, sans heurts ni agressivité, ménageant psychologie juvénile et morale sociale. Or, la santé sociale ne peut être assimilée à cette interdiction d'accéder à cette déformation de la sexualité qu'est la pornographie. Elle réside d'une part, dans l'inculcation de repères, de principes et d'une capacité de discernement au sein de la cellule sociale de base soit la famille et d'autre part, dans une certaine cohésion sociale, manifestée notamment par le partage d'un référentiel comportemental commun.

La santé sociale est une responsabilité commune. Elle ne tient pas au cryptage d'un site web et doit apprendre aux différents acteurs sociaux à composer avec la liberté et à assumer leurs responsabilités sans la présence continue d'un censeur.

* A. A.-M. (traduction de l'arrêt I.S).


 
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