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Bulletin d'information n°46. Septembre 2011

De quelques réflexions relatives à la responsabilité du médecin relativement à une interruption médicalisée de la grossesse



" Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments ou par tout autre moyen, aura procuré ou tenté de procurer l'avortement d'une femme enceinte ou supposée enceinte, qu'elle y ait consenti ou non, sera puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de dix mille dinars ou de l'une de ces deux peines seulement. Sera punie d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de deux mille dinars ou de l'une de ces deux peines seulement, la femme qui se sera procurée l'avortement ou aura tenté de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet. L'interruption artificielle de la grossesse est autorisée lorsqu'elle intervient dans les trois premiers mois dans un établissement hospitalier ou sanitaire ou dans une clinique autorisée, par un médecin exerçant légalement sa profession. Postérieurement aux trois mois, l'interruption de la grossesse peut aussi être pratiquée, lorsque la santé de la mère ou son équilibre psychique risquent d'être compromis par la continuation de la grossesse ou encore lorsque l'enfant à naître risquerait de souffrir d'une maladie ou d'une infirmité grave. Dans ce cas, elle doit intervenir dans un établissement agréé à cet effet. L'interruption visée à l'alinéa précédent doit avoir lieu sur présentation d'un rapport du médecin traitant au médecin devant effectuer ladite interruption ".
Article 214 du code pénal tunisien.

Les alinéas 3, 4 et 5 de l'article 214 du code pénal tunisien organisent le régime juridique des interruptions de grossesses. Ces interruptions sont des exceptions, rajoutées en 1965 à l'interdiction des interruptions qui est posée les alinéas 1er et 2 du même article.

Le texte distingue entre deux types d'interruptions de grossesses. Les premières, les interruptions volontaires de grossesse, ne posent pas de problèmes mis à part l'absence de précision du décompte du début du délai de trois mois (" L'interruption artificielle de la grossesse est autorisée lorsqu'elle intervient dans les trois premiers mois(…)) " dont on ne sait s'il vise trois mois d'aménorrhée ou trois mois de grossesse.

Le problème se situe au niveau des interruptions médicalisées de grossesse. Les gynécologues, sans doute déjà déstabilisés par le fait que les interruptions de grossesse soient encadrées par le code pénal, qui plus est dans son chapitre intitulé " Attentats contre les personnes ", hésitent à les pratiquer craignant de tomber sous l'effrayante inculpation d'homicide et d'attirer sur eux les foudres de la justice.

Ces interruptions, réservées par le texte, à quelques cas particuliers (lorsque" la santé de la mère ou son équilibre psychique risquent d'être compromis par la continuation de la grossesse ou encore lorsque l'enfant à naître risquerait de souffrir d'une maladie ou d'une infirmité grave " et nécessitent obligatoirement l'intervention d'un médecin et d'une structure sanitaire.

La responsabilité pénale du médecin gynécologue qui pratique l'IMG dans l'un de ces cas - donc au-delà de trois mois de grossesse - a parfois besoin de pratiquer un geste fœticide pour éviter la naissance d'un enfant viable (soit à partir de 22 semaines d'aménorrhée). Sa responsabilité pénale risque-t-elle d'être engagée pour homicide volontaire par cet acte ? La réponse à cette question est à notre sens négative et ce, pour les raisons qui suivent.

L'homicide volontaire vise des personnes. Le fœtus est-il une personne dans le sens que lui attribue le code pénal ? Deux thèses extrémistes basées sur des critères différents du commencement de la vie et de la personnalité existent : le critère biologique s'oppose au critère de l'autonomie morale. Leurs risques de dérives nous laissent leur préférer la thèse médiane de la personne humaine potentielle, soutenant que les propriétés de l'être personnel apparaissent de manière progressive qui est également celle défendue par le Comité Consultatif National d'Ethique et le Comité permanent des médecins de la Communauté Européenne *.

En France, si "la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie " (art. 16 du Code Civil), le fœtus n'a, aux yeux de la loi française, pas d'existence en tant que personne légale.

Si on y réfléchit bien, le gynécologue pratiquant l'IMG n'a pas vraiment le choix : soit il procède de cette manière, en pratiquant l'acte foeticide soit il provoque l'interruption de la grossesse (et donc l'expulsion du fœtus) en prenant le risque de donner naissance à un fœtus vivant. Que fera-t-il alors, le tuera-t-il par omission (soit ici par absence de soins, de réanimation…) ? C'est en agissant de la sorte qu'il se placerait sous le coup de la loi pénale car l'absence volontaire et délibérée de soins à l'enfant né vivant constitue bien un homicide (art.201 du code pénal pour l'homicide volontaire et 217 pour l'homicide non intentionnel).

Cette absence de responsabilité pénale pour les actes foeticides exige que les conditions posées par l'article 214 soient remplies (rapport du médecin traitant au médecin devant pratiquer l'interruption de grossesse). Elle ne signifie pas que le gynécologue pratiquera l'acte foeticide en toute aisance, particulièrement lorsque l'interruption médicalisée de grossesse se justifie par la mauvaise santé de la mère ou qu'elle fait suite à un viol ou à un inceste. Exempt d'affection déclarée, le fœtus ne peut voir le jour pour des raisons autres que sa propre santé. Un acte tout aussi lourd et difficile à pratiquer nécessite réflexion et dialogue entre médecins et parents. Le gynécologue ne doit pas demeurer seul face à la décision.
Car les conséquences morales d'un acte peuvent cependant s'avérer toutes aussi lourdes que ses conséquences pénales. N'oublions cependant pas que la clause de conscience, même si elle n'est pas envisagée expressément pour les interruptions de grossesse, existe toujours. On peut la dégager de l'article 38 du code de déontologie médicale " Le médecin peut se dégager de sa mission à condition (…) ".

* Mohamed Kamel CHARFEDDINE : "L'embryon, sujet ou objet ?", in Revue tunisienne de droit, 1998, p.69.


 
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