Bulletin d'information n°40. Février 2011
Résumé de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (Première Section) (1)
AFFAIRE S. H. ET AUTRES c. Autriche du 1er avril 2010 (requête 57813/00)
Mots clés : Procréation médicalement assistée (techniques).
Droit à l'enfant par fécondation in vitro. Droit à la vie privée.
A l'origine de l'affaire se trouve une requête dirigée contre la République d'Autriche et dont quatre ressortissants (deux couples mariés) de cet
Etat ont saisi la Cour le 8 mai 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
1. Arguments respectifs avancés.
a. Les requérants (couples). Dans leur requête, les intéressés alléguaient en particulier que les dispositions de la loi autrichienne sur la
procréation artificielle prohibant la fécondation in vitro avec don de gamètes, la seule technique médicale qui leur aurait permis de concevoir
un enfant, emportaient violation de leurs droits au titre de l'article 8 de la Convention pris isolément et combiné avec l'article 14. Elles invoquaient
en outre l'article 12 de cet instrument et l'égalité de traitement garantie par l'article 7 de la Constitution fédérale.
Les requérants estiment que leur situation est comparable ou analogue à celle d'autres couples qui souhaitent eux aussi bénéficier d'une assistance
médicale à la procréation, mais dont l'état de santé les dispense de recourir à un don de gamètes en vue d'une fécondation in vitro. Dans ces
conditions, ils se considèrent victimes d'une différence de traitement.
Ils allèguent que les dispositions de la loi autrichienne relative à la procréation artificielle interdisant l'emploi des techniques hétérologues de
procréation artificielle en vue d'une fécondation in vitro, porte atteinte à leurs droits au titre de l'article 14 combiné avec l'article 8. Selon
eux, le droit de fonder une famille et le droit à la procréation revêtiraient une telle importance que les Etats contractants ne bénéficieraient
d'aucune marge d'appréciation pour réglementer ces questions. La décision d'un couple de recourir à l'assistance médicale à la procréation
concernerait son intimité la plus profonde, raison pour laquelle le législateur devrait faire preuve d'une retenue particulière pour légiférer dans ce domaine.
b. Le Gouvernement autrichien quant à lui estime que l'interdiction imposée par la loi poursuit les buts légitimes que constituent la
protection de la santé et du bien-être des femmes et des enfants concernés, ainsi que la sauvegarde des valeurs éthiques et morales
fondamentales de la société. En outre, cette interdiction lui apparaît proportionnée aux buts en question (dignité humaine, du bien-être des enfants et du droit à la procréation).
Concernant plus précisément le don d'ovocytes, il estime que la fécondation in vitro poserait également problème en ce qu'elle aboutirait à
la création de relations familiales atypiques, qui se caractériseraient par une discordance entre la réalité sociale et la réalité biologique découlant
de la dissociation de la filiation maternelle en une composante génétique, une composante " gestationnelle " et peut-être aussi une composante sociale.
2. Réponse de la Cour
La Cour rappelle d'abord que la notion de " vie privée " au sens de l'article 8 de la Convention est une notion large : elle considère que le
droit des couples à procréer en faisant appel à la procréation médicalement assistée entre dans le champ d'application de l'article 8,
pareil choix s'analysant manifestement en une forme d'exercice du droit à la vie privée et familiale.
Pour la Cour, les Etats disposent d'une marge d'appréciation pour déterminer dans quelle mesure des différences entre des situations à
d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement. Dès lors que le recours au traitement par FIV suscite de délicates
interrogations d'ordre moral et éthique, qui s'inscrivent dans un contexte d'évolution rapide de la science et de la médecine, et que les questions
soulevées en l'espèce se rapportent à des domaines sur lesquels il n'y a pas, de manière claire, communauté de vues entre les Etats membres, la
Cour estime qu'il y a lieu d'accorder à l'Etat défendeur une ample marge d'appréciation. Cela n'empêche pas la Cour d'examiner
attentivement les questions qui ont été débattues dans le cadre de la procédure législative et de rechercher si les explications fournies par
le Gouvernement pour justifier la différence de traitement critiquée sont pertinentes et suffisantes.
Elle estime que la situation de chacun des deux couples doit être étudiée séparément :
a.Concernant le don d'ovules (Couple 1). Mme H. E.-G. n'a aucune activité ovulatoire, elle est totalement stérile. En revanche, son mari est
apte à procréer. Du point de vue médical, les intéressés se trouvent dans une situation où la fécondation in vitro avec don d'ovules est la seule
technique qui leur permettrait de réaliser leur souhait d'avoir un enfant dont l'un d'entre eux au moins serait le parent génétique. Toutefois, ils ne
peuvent en bénéficier en raison de l'interdiction l'utilisation des techniques hétérologues de procréation assistée à des fins de
fécondation in vitro contenue dans la loi autrichienne sur la procréation artificielle (article 3§1) , qui proscrit le don de gamètes et ne souffre aucune exception.
La Cour va rechercher si la différence de traitement opérée entre ce couple et un couple qui devrait avoir recours à des techniques de
procréation artificielles ne faisant pas appel au don d'ovules pour réaliser son désir d'enfant a une justification objective et raisonnable.
La Cour estime que des considérations d'ordre moral ou tenant à l'acceptabilité sociale des techniques en question ne sauraient justifier à
elles seules l'interdiction totale de telle ou telle méthode de procréation assistée, en l'occurrence le don d'ovules. Elle n'est pas convaincue que
cette interdiction totale était la seule solution dont disposait le législateur autrichien qui pouvait encadrer et sanctionner le
cas échéant les abus liés à l'utilisation de ces techniques.
D'une part concernant le risque de création de relations familiales atypiques découlant de la dissociation de la filiation maternelle en une
composante génétique, une composante " gestationnelle ", soit l'absence de lien biologique direct, avancé par le Gouvernement
autrichien, n'ont rien de nouveau : il existe notamment dans l'adoption.
D'autre part, le droit à connaître ses vrais parents qui serait mis en cause par cette technique ne revêt pas selon la Cour un caractère absolu.
La Cour estime donc que pour ce couple il y a eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8.
b.Concernant le don de sperme (couple 2). S.H. est atteinte de stérilité tubaire. Son mari, le deuxième requérant, est lui aussi stérile. Il
est constant que, du point de vue médical, les intéressés se trouvent dans une situation où la fécondation in vitro avec don de sperme est la
seule technique qui leur permettrait de réaliser leur souhait d'avoir un enfant dont l'un d'entre eux au moins serait le parent génétique.
Toutefois, ils ne peuvent en bénéficier en raison de l'interdiction de l'utilisation des techniques hétérologue de procréation assistée à des fins
de fécondation in vitro posée par l'article 3 § 1 de la loi sur la procréation artificielle, disposition qui proscrit le don de sperme pour cette opération.
Cependant, l'article 3 § 2 de ladite loi autorise le don de sperme à des fins de fécondation in vivo. Cette différence de traitement entre couples
constitue-t-elle une violation de l'article 14 de la Convention combiné avec son article 8 ?
Rappelant que la Convention a pour but de " protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs ", la Cour estime que
la différence de traitement opérée entre le couple composé des premier et deuxième requérants - qui ne peut satisfaire son désir d'enfant
qu'au moyen d'une fécondation in vitro avec don de sperme - et un couple qui pourrait légalement bénéficier d'un don de sperme en vue d'une
insémination artificielle n'a pas de justification objective et raisonnable. En outre, elle est disproportionnée par rapport au but
recherché, soit le contrôle de la technique en question.
Il s'ensuit selon elle qu'il y a eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8.
La Cour décide (à la majorité des voix, deux opinions) qu'il y a eu préjudice moral.
Notons que le 22 mars prochain, la quatrième section de la Cour européenne des droits de l'homme tiendra une audience publique dans l'affaire V. C. contre Slovaquie relative à un cas allégué de
stérilisation forcée. Cette affaire fait partie d'une série de requêtes soumises à la Cour par des femmes d'origine rom (tsigane) qui
reprochent à la Slovaquie d'avoir été stérilisées de force dans des hôpitaux publics depuis 1999.
(1)http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&documentId=865856&portal=hbkm&source=external
bydocnumber&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166DEA398649
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