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Bulletin d'information n°19. Février 2009

Commentaire de l'arrêt du Tribunal Administratif du 31 décembre 2007 - 3è. Ch. De cassation, affaire n°38643
(Chef du contentieux de l'Etat / Zohra Bazzezi)
Responsabilité pour défaut d'information médicale

 

L'affaire ayant donné lieu à cet arrêt concerne une intervention chirurgicale ayant entraîné la perte définitive de l'ouïe pour la victime.

La requérante souffrait d'une maladie de l'appareil auditif ayant provoqué la perte d'usage de son oreille gauche. L'équipe médicale du CHU Habib Thameur de Tunis décida alors de l'opérer afin d'arrêter l'évolution de sa maladie et de sauver son oreille droite. Malheureusement, l'opération chirurgicale se solde par un échec et la patiente devient totalement sourde.

L'expertise médicale ordonnée par les juges de première instance conclut que l'intervention avait été exécutée selon les règles de l'art et que l'accident survenu constituait un risque connu et prévisible mais qui se produit, selon la littérature médicale, seulement dans 5% des interventions. Par conséquent le jugement de première instance du Tribunal Administratif rejeta le recours en dommages et intérêts pour absence de faute médicale. La victime interjeta appel et obtint gain de cause : la chambre d'appel retint la responsabilité du service hospitalier sur la base du manquement des praticiens à une obligation d'ordre éthique : celle d'informer la patiente du risque qu'elle encourait en acceptant de se soumettre à l'intervention qu'on lui avait proposé. En cassation, le T.A. confirma la faute de service tout en précisant les fondements de l'obligation d'information médicale, sa portée et ses conséquences à travers l'application de la notion de perte de chance, apportant ainsi d'importantes contributions au droit de la responsabilité hospitalière.

Fondement de l'obligation d'information

Dans la médecine libérale, l'obligation d'informer est d'origine contractuelle : étant lié par contrat avec son médecin1, le patient doit- selon la jurisprudence civile- consentir de manière éclairée aux soins proposés2. Par contre, un tel contrat n'existe pas entre les médecins hospitaliers et les usagers de l'hôpital, ces derniers étant soumis au statut légal et réglementaire qui régit le service3. La question est donc de savoir à quoi rattacher cette obligation d'informer.

Le TA s'est référé implicitement dans son arrêt du 31 décembre 2007 à la Constitution. Il affirme que l'obligation d'information est le corollaire de "l'inviolabilité de la personne humaine" c'est à dire qu'elle est l'expression d'une liberté fondamentale consacrée par l'article 5 de la Constitution.

En outre, et pour pallier à la carence du législateur, le TA a jugé que "le libre choix du médecin par le malade" consacré par l'article 10 du code de déontologie médicale implique nécessairement son assentiment aux soins proposés. Ainsi le patient devrait non seulement consentir aux divers actes que le médecin accomplirait sur sa personne mais également accepter en connaissance de cause ce que ce dernier compte faire à son corps. Le TA donne ainsi son plein contenu au principe du consentement qui constitue une garantie pour l'intégrité physique de la personne humaine et un rempart contre le "pouvoir médical"4.
Par conséquent, quelque soit le cadre dans lequel le médecin exerce son art (structure sanitaire publique ou secteur privé), il doit s'acquitter d'une obligation déontologique primordiale qui consiste à recueillir le consentement éclairé du patient en l'informant de la portée de sa décision médicale.

Portée de l'obligation d'information

Le médecin doit, selon le TA, éclairer son patient sur son état de santé et sur les actes de soins (ou d'investigations) qu'il compte effectuer. Il doit surtout l'informer des risques inhérents de l'intervention projetée et de l'évolution prévisible de son état dans le cas où il [le patient] préfèrerait s'abstenir de toute action thérapeutique. En résumé, pour que la volonté du patient soit respectée, il devrait être "informé de ses choix" affirme le Tribunal. C'est de tout cela qu'aurait été privée la requérante du cas d'espèce.

Réserve faite des malades inconscients (pour lesquels il faut désigner un représentant légal5) ou des mineurs (leur consentement doit être recherché auprès de titulaires de l'autorité parentale selon l'art.35 du code de déontologie médicale), le praticien n'est exonéré de son obligation qu'en cas d'urgence ou d'impossibilité de recueillir le consentement de la personne intéressée. L'urgence s'entend au sens d'un "danger immédiat" qui menace la vie d'un homme selon l'art. 5 du code de déontologie médicale, par conséquent le médecin qui n'obtient pas le consentement du malade "alors que le danger n'est que futur voire éventuel commet une faute"6.

Il s'agit donc d'exceptions de bon sens que le TA énumère. Il nous semble qu'il conviendrait d'ajouter à ces exceptions le cas où le médecin ne pourrait informer des risques de l'intervention projetée sans que lui soit révélé le fait qu'il est atteint d'une maladie " grave ou fatale ". Or, ce pronostic peut, conformément à l'art.36 du code de déontologie médicale, lui être dissimulé ou ne lui être révélé qu'avec "la plus grande circonspection". Cette situation étant appréciée en sa conscience par le praticien en fonction de la personnalité et de la psychologie de son patient. Or cette "clause de conscience"7 permet-elle au médecin de dissimuler les risques infimes et rares dont la divulgation n'est pas de nature à éclairer le consentement du malade, mais pourrait l'affoler inutilement et nuire à l'efficacité du traitement ou le dissuader de se soumettre à des soins impérieux et "hautement souhaitables8"?

L'arrêt objet du présent commentaire ne répond pas expressément à cette question, il se contente d'exiger que le patient soit informé des risques "prévisibles" et ce, contrairement à quelques jugements de première instance du TA qui circonscrivent l'obligation d'information aux risques exceptionnels9. D'une manière générale, on pourrait affirmer que toute personne a le droit d'être informée sur les risques fréquents de l'intervention proposée et les risques graves (décès ou invalidité) que cette intervention pourrait comporter10. Il convient, en effet, de ne pas étendre exagérément l'obligation d'information pour ne pas inciter les médecins à s'en acquitter d'une manière figée en faisant systématiquement signer à leur patients des formulaires techniques et impersonnels comportant un "inventaire sinistre" de tous les risques et incidents les plus rares11. Le résultat serait contraire à l'objectif recherché qui consiste à engager un "dialogue au cours duquel le praticien adapte l'information au cas du patient qui peut demander des précisions"12 sans nuire à la confiance entre médecins et patients qui conditionne en partie toute réussite thérapeutique13.

Application de la notion de perte de chance

Le TA considère que le préjudice subi par la requérante consiste en la perte d'une chance : cette chance étant celle d'échapper au risque de surdité. Or, cette surdité s'est finalement réalisée.

Bien que l'option choisie par les praticiens était en fait la plus sage, la requérante aurait pu refuser l'intervention et courir le risque d'une complication spontanée de son état de santé. Elle disposait, malgré la gravité de sa situation, d'un choix réel dont elle a été privée par défaut d'information.

La notion de perte de chance est empruntée au droit civil. Elle n'est pourtant pas étrangère aux décisions du TA14 ; elle trouve son champ de prédilection en matière de responsabilité pour défaut d'information médicale parce qu'elle permet au juge de "moduler l'indemnisation en fonction du caractère plus ou moins indispensable des actes médicaux d'investigations ou de soins"15. Sur cette base, la victime n'est indemnisée que partiellement étant donné que le défaut d'information n'est pas la cause immédiate de tous les dommages qu'elle a subis mais qu'il a seulement contribué à leur survenance, en conduisant la victime à s'y exposer en acceptant de se soumettre à l'intervention. Il faut bien savoir que le patient-victime peut se voir refuser toute indemnisation juridictionnelle en cas d'absence d'alternative thérapeutique.
On en déduit donc que la perte de chance est une technique adaptée à la complexité de la matière médicale parce qu'elle permet au juge de tenir compte de la probabilité du refus de l'intervention et de fixer l'indemnité "en fonction de la fréquence du risque dissimulé au patient et des bénéfices attendus du traitement"16.

Association Tunisienne du Droit de la santé

1 - Arrêt Mercier, cass. civ. 20/5/1936, Sirey 1937, 1, p.321; GAJC n.91.
2 - Cass. civ. 29/5/1951, D.1952, p.43, note Savatier.
3 - Pierre Sandevoir : Unité et diversité du contentieux administratif et du contentieux judiciaire dans le droit de la responsabilité hospitalière, Mélanges Drago, p.459 et s.
4 - Cyril Clément, Quelques propos sur le principe du consentement en droit médical et hospitalier, LPA, juin 1996, n.76, p.6.
5 - Jean Penneau, La responsabilité du médecin, 3è. Ed. Dalloz 2004, p.21.
6 - Cyril Clément, op. cit.
7 - Sylvie Welsh, Responsabilité médicale: la nouvelle donne, LPA avril 1998, n. 43.
8 - Christophe Guettier, obs. CE sect. 5/1/2000 Assistance pub. Hôpitaux de Paris/M. Guilbot et Epoux Telle, RDP 2001, p.412 et s.
9 - Jugements de première instance n°1/12148 du 2/3/2007 et n°17526 du 30/12/2005.
10 - Jean Penneau, La responsabilité du médecin, op.cit p.18.
11 - Didier Chauvaux, Conclusions sur CE sect. 5/1/2000 Assistance publique Hopitaux de Paris, RFDA 2000, p.641.
12 - Didier Chauvaux, op. cit.
13 - Sylvie Welsh, Responsabilité médicale: la nouvelle donne, op. cit.
14 -Voir par exemple l'arrêt d'appel n° 22699 du 12/5/2001.
15 - Christophe Guettier, op. cit.
16 - Didier Chauvaux, op. cit.

 
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